Le clan Cotroni-Violi et la Commission d'Enquête sur le Crime Organisé (CECO)
En 1972, sous l'impulsion de Robert Bourassa, alors premier ministre, le gouvernement du Québec met en place une commission d'enquête publique afin de mettre en lumière les activités du crime organisé au sein de la "belle province".
La Commission d'Enquête sur le Crime Organisé, ou CECO, va ainsi mettre en lumière les activités illégales liées à la prostitution, corruption, le jeu illégal, le trafic de drogue ou autres délits dans la province du Québec.
Dans son viseur se trouve principalement le clan des frères Dubois et surtout le clan Cotroni-Violi, la branche Canadienne de la Famille Bonanno, l'une des 5 Familles de New York.
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Vic Cotroni lors d'une de ses apparitions à la CECO |
Les premières banderilles
Si dès 1974 certains représentants de la mafia Montréalaise tels que Vincenzo Soccio & Nicola Di Iorio (ce dernier est considéré comme le numéro 3 de la mafia locale derrière Vic Cotroni & Paolo Violi) sont auditionnés, c'est surtout en 1975 que les choses sérieuses commencent avec l'audition de ses principaux représentants, associés, victimes et enquêteurs.
A noter à propos des auditions de 1974 que Soccio & Di Iorio ont écopé chacun de 1 an d'emprisonnement pour outrage à la cour et que Angelo Lanzo, bras droit de Di Iorio et membre éminent de la decina (autrement dit crew/équipe) est décédé le 20 mai d'une crise cardiaque alors qu'il se cachait pour éviter d'être auditionner.
Il est établi dès novembre 1973 par Bernard Couture, de la Sûreté du Québec et son confrère, le
caporal Guy Pharand, que Vic Cotroni est le boss de la mafia à Montréal et que Paolo Violi est son bras droit.
Les 2 officiers de la SQ sont d'autant bien placés pour affirmer leurs dires car depuis 1970 ils ont un agent infiltré, le sergent Robert Ménard qui a placé sur écoute le Reggio Bar. Ménard sous l'identité de Robert Wilson se fait passer pour un électricien et habite un appartement loué au dessus du quartier général de Violi ne perd pas une miette de tout ce qu'il s'y passe.
Des écoutes effectués dans le cadre de l'opération "Vegas" visant l'équipe de Di Iorio et autres investigations permettent à la police de construire un organigramme assez précis de l'organisation Cotroni-Violi:
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Organigramme publié dans l'édition du mercredi 28 novembre 1973 du journal Le Devoir |
Les écoutes permettent notamment d'affirmer que Cotroni est le chef de l'organisation et qu'entre 1971 et 1973 il a rencontré au moins 200 fois ces 4 lieutenants, Paolo Violi, Nicola Di Iorio, Frank Cotroni & Luigi Greco, principalement au Moishes Steak House, au Sirloin Bar et au Bar-B Barn.
Il est précisé qu'alors que ses lieutenants ne se rencontraient jamais entre eux, Cotroni voyait Di Iorio tous les lundi et jeudi à 18h30 alors qu'il voyait Greco tout les mardi à 14h30.
Selon les agents, les picciotti (soldats) du clan ne rencontraient jamais directement Cotroni sans en avoir référé auparavant à leurs chefs de clans.
C'est par exemple le cas d'Angelo Lanzo, principal bras droit de Di Iorio, qui en cas d'absence de ce dernier était autorisé à s'entretenir avec Cotroni, mais ne devait rien faire avant d'avoir tenu au courant Di Iorio.
De la même manière, les "petits bras" doivent passer par un des référents des lieutenants avant de s'adresser directement à ceux-ci (exemple: Lanzo ou Bucci pour Di Iorio, Faber pour Frank Cotroni, etc...)
Alors que les crews de Di Iorio & Frank Cotronit étaient respectivement en charge de la corruption et du trafic de drogue, les rôles précis de ceux de Violi & Greco ne sont pas formellement établis.
Luigi Greco est décédé accidentellement lors de l'incendie de sa pizzeria le 7 décembre 1972. Bien que ce ne soit pas précisé lors de l'enquête de la CECO, il est fort à parier que ce soit Nicolo Rizzuto qui était précédemment sous son autorité qui ait pris sa place. Toutefois, un témoin confidentiel déclarera plus tard à la CECO que c'est en fait Paolo Violi qui a hérité de l'organisation Greco.
Avant son décès, Greco devait définitivement prendre en charge la decina de Montréal suite au désir de Cotroni de se retirer. Le poste alla de facto à Paolo Violi.
Interrogé par la CECO à la fin juin 1974, notamment car il a été enregistré en train d'expliquer à Soccio de comment répondre à la commission, Cotroni est condamné à la suite de ses réponses plus qu'évasives à 1 an d'emprisonnement pour outrage à la cour.
Libéré sous une caution de 25.000$, Cotroni est envoyé en prison en septembre.
Sentant que les choses vont probablement mal tourner pour eux si ils sont convoqués, certains individus liés au groupe Cotroni-Violi tels que Joe DiMaulo ou Joe Cocolicchio décident de plier bagages et de profiter du soleil de la Floride en s'installant temporairement à Miami.
William Obront, autre individu lié au groupe Cotroni-Violi décide lui aussi de prendre des vacances en Floride. Il se fera arrêter en 1976 au Costa Rica et condamné à 1 an d'emprisonnement pour outrage.
Il faut dire que les audiences du début de l'année 1975 sont consacrés aux magouilles de sa société d'alimentation, la Reggio Food, dont les administrateurs sont Vic Cotroni, Paolo Violi, Armand Courville et Salvatore Sorrentino. Ce dernier est un membre assez méconnu de la decina de Montreal qui gère également une pizzeria dans le quartier St Leonard.
En plus de noter que la Reggio Food vend de la viande avariée, la commission relève que le principal (et semble-t-il seul) client de pepperoni fabriqués par l'usine de Cotroni et de la Reggio Food est la fromagerie Giuseppe Saputo & Figli Ltd, fromagerie dans laquelle l'ancien boss de Cotroni, Joseph Bonanno, avait des intérêts.
Mais les choses sérieuses contre la decina de Montréal sont prévues pour le mois de novembres 1975 avec les auditions de victimes et associés de Paolo Violi. Ordre est donné à l'agent Robert Ménard de plier bagages, ces enregistrements seront les "vedettes" des auditions à venir.
Auditions de victimes de Violi
Alors que les auditions visant Violi sont prévues au début du mois novembre, ce dernier passe par une mauvaise phase car il est non seulement reconnu coupable et condamné à 1 an de prison avec d'autres associés de Toronto pour avoir manipuler des actions boursières de la Buffalo Gas an Oil, mais il est également inculpé avec Vic Cotroni et John Papalia pour une affaire d'extorsion.
Violi et Cotroni seront par la suite acquittés dans cette affaire, au contraire de Papalia qui écope de 6 ans. Ce sont d'ailleurs les écoutes effectués par Ménard qui ont constituées certaines des preuves pour le faire condamner.
Se sachant fortement exposé et afin d'éviter l'humiliation de voir ses affaires étalées au grand jour, Violi décide de se cacher en Ontario.
Le défilé des témoins victimes va permettre à la commission d'en savoir un peu plus sur les activités de Violi et sur la terreur qu'il exerce sur ceux-ci.
Luigi Salvatore est un entrepreneur dans le domaine de la construction. En novembre 1972, un tribunal lui reconnait le droit de réclamer une dette à un dénommé Harry Engelstine. Ce dernier est le propriétaire d'une entreprise de construction qui a fait faillite et qui doit 8.763$ à Salvatore.
Un an plus tard, alors qu'il n'a pas régler entièrement sa dette, Engelstine demande à l'un de ses amis avocat, Pierre Gagnon, de trouver un moyen pour régler la dette. Gagnon mandate un "recouvreur de dette" nommé Pierre Bégin qui va trouver Salvatore et lui propose de régler l'affaire pour 2.500$ ce que ce dernier refuse. Salvatore ayant été menacé qu'on lui coupe les jambes et autres représailles envers sa femme croit bon d'aller demander de l'aide à son "ami" Paolo Violi.
Violi demande à Gagnon 5.000$ pour régler l'affaire, ce que ce dernier fait ayant bien évidemment peur de ce qui pourrait lui arriver dans le cas contraire. Selon l'accord, les "Français" (comprendre ici Québecois) garderont 2.500$, Salvatore 2.000$ et Violi 500$ pour le service rendu.
Interrogé par la commission, Salvatore nie malgré les bandes enregistrées avoir demander de l'aide à Violi ni même avoir gardé une partie de l'argent, et ce malgré une nuit en prison pour l'aider à réfléchir.
Vraisemblablement terrorisé et dépassé par cette affaire, Salvatore affirme pour s'en sortir ne pas pouvoir aider la commission dans ce dossier ni lire les transcriptions car il ne sait lire ni l'Anglais ni le Français.
Ce qui bien sûr ne convainc par les juges qui décident toutefois de laisser l'entrepreneur tranquille et de le placer sous protection policière.
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Luigi Salvatore |
L'exemple de Luigi Salvatore qui se retrouve à demander "protection" à Paolo Violi n'est évidemment pas un cas isolé. Mais à contrario de Salvatore qui en plus s'est semble-t-il enrichi dans cette affaire, c'est souvent le cas contraire qui se présente.
Joseph Petrozza est le propriétaire de la pizzeria "Tre Colore Pizzeria" située à Chambly. Le 5 février 1974, il reçoit la visite de 2 individus, dont l'un qui sera identifié plus tard comme étant Tony Mucci, lui demandant 5.000$ d'ici 15 jours en échange d'une protection. Petrozza refuse et 15 jours plus tard il reçoit un coup de téléphone lui sommant de réunir l'argent sinon "ça va mal aller".
L'histoire est corroborée grâce au enregistrements du Reggio Bar: la veille de l'incident, Violi est enregistré en train de donner les instructions à Mucci afin de "proposer" ses services à la protection.
Petrozza a la bonne idée de se rendre directement à la police pour exposer son problème et il ne sera plus inquiété par la suite. Ce qui ne sera malheureusement pas le cas des témoins suivants.
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Joseph Petrozza |
Le témoignage de Lino Simaglia est à ce titre édifiant. Lino et son frère Quintino sont propriétaires d'un commerce d'empaquetage. En 1971, les 2 frères ont un problème avec un partenaire à Toronto et ont la mauvaise idée de se tourner vers Violi afin de régler le problème. Pas de problème en revanche pour Violi qui se propose de régler leurs soucis pour 2.000$ par an. Grand seigneur, il baisse même son prix suite au mécontentement de Lino: il se contentera de 1.000$ + un petit cadeau.
En plus de payer une protection, les frères Simaglia se sont vu imposés un partenariat avec Violi. Ils citent l'exemple des fêtes de Pâques: alors qu'ils réalisaient habituellement un bénéfice de 2.000$ sur cette période, Violi a récupéré presque tout les bénéfices et les frères n'avaient plus que 200$. Les frères ont même été obligés d'accepter de nouveaux partenaires.
De peur de représailles, car Violi leur a clairement fait comprendre qu'ils en auraient, les frères n'ont jamais osé rompre leur partenariat.
Ainsi Lino Simaglia explique que depuis 1971 il a versé 4.000$ à Violi pendant les fêtes de Noël. Détail sordide: les "cadeaux de Noël" faits à Violi privent les enfants des 2 frères d'avoir des cadeaux. Lino ajoute que si cette année Violi venait lui demander son enveloppe annuelle, il la lui donnerait.
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Lino Simaglia |
Violi a un sens assez singulier du service rendu. Michael Cutone est le propriétaire d'un restaurant qui a un problème avec un dénommé Pasquale Tullio qui, selon Cutone, lui fait des grimaces et empeste le parking de son restaurant avec les gaz d'échappement de sa moto. Les deux hommes se seraient d'ailleurs battus par le passé pour une histoire de dette de 30$.
Cutone va donc trouver Violi pour laver cet affront et ce dernier lui réclame 200$ pour faire mettre quelques "claques dans la gueule" à Tullio. C'est chose faite quelques jours plus tard quand Violi envoie 2 de ses hommes, Vincenzo "Enzo" Porco & Vincent "Jimmy Rent a Gun" De Santis effectuer la besogne. Tullio se fait sévèrement rosser dans une salle de billard à coups de manche à balai, mais sans s'être fait briser de membres.
Cutone est par la suite convoqué par Violi pour lui réclamer 400$ pour le "travail" fait. Cutone râle un peu par rapport au prix qu'il juge excessif et se fait répondre par Violi que pour ce prix il avait fait "du bon travail". Finalement Cutone ne paye que 375$.
Interrogé sur le pourquoi il s'était tourné vers Violi, Cutone répond le plus naturellement du monde: "J'ai entendu dire quelque part que c'était lui le boss!"
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Michel Cutone |
Autre cas révélateur sur le fait que Paolo Violi fait la pluie et le beau temps dans le quartier de St Leonard est celui de Mauro Marchettini un restaurateur de la rue Jean Talon qui souhait en 1969 ouvrir une salle de billard.
Problème, Paolo Violi et son frère Francesco voient ça d'un mauvais oeil et font tout pour lui mettre des bâtons dans les roues sous prétexte qu'ouvrir une salle de billard dans le quartier ne serait pas rentable pour Marchettini.
Non seulement Francesco Violi qui s'occupe d'une entreprise de fournisseurs d'appareils ménagers refuse de fournir du matériel à Marchettini, mais en plus il emmène ce dernier faire une balade en voiture afin de le rouer de coups.
Coincé par les frères Violi et son bail qu'il ne peut briser, Marchettini se sort de ce guêpier en faisant jouer ses relations et demande à Tony Masarelli, célèbre chanteur Québecois et accessoirement gendre de Giuseppe Cotroni, de lui racheter l'immeuble. Marchettini s'en sort finalement avec 2.500$ de pertes et 2 yeux au beurre noir...
Pour finir avec le registre des témoins, finissons par le cas de Frank Tutino qui est particulièrement révélateur sur le pouvoir d'influence et de nuisance de Violi dans le quartier de Saint Leonard.
Tutino souhaite se présenter en tant que candidat indépendant lors des élections municipales face au mair de Saint Leonard, Jean Di Zazzo. Après s'être fait notifier par Di Zazzo et son équipe qu'il serait mieux si il ne se présentait pas, Tutino finit par poser sa candidature malgré le fait qu'on lui aurait proposer des contreparties dans le cas contraire.
Tutino reçoit quelque jours plus tard la visite de Pietro Sciara, qui lui fait clairement comprendre que si il ne retire pas sa candidature il risque de lui arriver malheur à lui ou à sa famille.
Lors d'une autre rencontre avec Sciara, ce dernier l'invite à se rendre au Reggio Bar afin qu'il rencontre Violi qui lui sert le même genre de discours.
Toutefois Tutino ne cède pas et fait appel à la police qui le place sous étroite protection. Ce qui malheureusement pour lui, le lui fera pas gagner l'élection.
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Frank Tutino |
Evidemment, d'autres témoignages similaires ont eu lieu durant les audiences de novembre 1975 (citons entre autre Real Pelletier & Giovanni Proetti qui eux aussi ont cru bon d'avoir recours à Violi) et beaucoup ont été fait sous l'anonymat. Mais tous ont le même schéma ou presque et désignent Violi comme étant l'impitoyable "boss" de Saint Leonard.
Auditions de Violi et de ses complices
Alors que les victimes plus ou moins volontaires de Violi défilent à la barre, les premiers picciotti à la solde de Violi commencent eux aussi à être interrogés. Evidemment, autant dire tout de suite qu'ils ne disent pas grand chose (voir rien du tout) d'intéressant, mais les écoutes les concernant permettent toutefois de juger de la cupidité de Violi qui envoie basiquement ses hommes commettre des délits plutôt "mineur".
Passons rapidement sur le témoignage de Tino Baldelli, premier picciotto du clan Cotroni-Violi à passer à la barre. Officiellement décorateur, Baldelli est également le gendre et chauffeur de Vic Cotroni. Il ressort des écoutes que outre ses talents pour la décoration, Baldelli sert également d'intermédiaire dans des affaires d'extorsions.
Son "témoignage" est quasi identique que celui de l'histoire de Luigi Salvatore: 2 de ses amis sont menacés de payer 15.000$ à un recouvreur de dette et font appel à Violi par l'intermédiaire de Baldelli. Il s'en sortent lestés de 4.000$.
Bien sûr Baldelli explique qu'il a fait ça pour aider un ami, mais n'implique pas Violi dans l'histoire. D'ailleurs quand on lui fait écouter les bandes l'incriminant il dit ne pas reconnaitre sa voix.
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Tino Baldelli |
Les écoutes et témoignages des 4 témoins suivants sont en revanche un peu plus instructives sur les méthodes de Paolo Violi et que ce dernier n'est pas vraiment satisfait par les résultats de ses subordonnés.
Le premier d'entre eux est Peter Bianco. Bianco fait parti au côté de Tony Teoli, Tony Mucci & Nick Maturo d'une équipe de cambrioleurs travaillant pour Violi, activité que Bianco reconnait. Enfin en parti, il explique qu'il pratiquait à une époque cette activité, mais bien sûr ne reconnait pas travailler pour Violi.
Pourtant, Bianco fait parti d'un client régulier du Reggio Bar et est reconnu comme y apportant des marchandises volées pour y être ensuite revendues (en clair il faisait du recel).
Lors d'une conversation téléphonique enregistrée le 4 août 1973, Violi reproche clairement à Bianco son manque d'efficacité car il ne lui a rien rapporté depuis 3 jours. Violi charge donc Bianco d'aller cambrioler ses voisins située rue Comtois. C'est chose faite le 11 août suivant et Bianco rapporte à Violi 9.994$.
En plus de voler ses propres voisins, Violi envoi Bianco et ses complices faire "les mariages": durant les réceptions ou messes de mariage, le gang s'occupait de cambrioler la maison des futurs mariés.
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Peter Bianco |
Massimo Di Rodolfo (le plus orthographié Diridilfo dans la presse) est un autre cambrioleur gravitant dans l'entourage de Violi, mais plutôt dans le braquage de bijouterie et la revente d'or et bijoux. Di Rodolfo est tout comme Bianco également un ami de Tony Mucci mentionné précédemment.
Tout comme Bianco, Di Rodolfo ne nie pas ses activités de braqueurs et receleurs, mais nie totalement avoir partager ses gains avec Violi.
Et pourtant tout comme Bianco, une conversation entre lui et Violi est captée le 27 mars 1974. Violi reproche notamment à Di Rodolfo de ne pas avoir partagé les profits de 4.000$ sur un casse. Mea culpa de Di Rodolfo qui dit a Violi que désormais il viendra toujours le voir pour ses prochains coups. Violi décide par la suite de mettre une amende de 600$ à Di Rodolfo et ses 2 complices (amende qui pour l'anecdote ne sera semble-t-il jamais payée).
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Massimo Di Rodolfo |
Passons rapidement sur le témoignage de Tony Carbone, neveu de Luigi Greco qui s'est retrouvé comme intermédiaire dans l'arbitrage de la dette de 10.000$ entre les hommes d'affaires Real Pelletier (auditionné quelques jours avant) et Jean Quévillon (l'affaire avait coûté à Pelletier 2.500$ et une bouteille de cognac pour un somme qui lui revenait déjà de droit selon la justice).
La seule chose qui ressort de son "témoignage" est qu'il syndiquait plus moins de force des employés qui travaillait dans des tavernes et brasserie car Carbone était Maoïste. Ce qui il faut bien l'avouer n'est pas banal pour quelqu'un impliqué dans le crime organisé!
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Tony Carbone |
L'audition de Enzo Porco est en revanche beaucoup plus intéressante. Enfin pour être plus précis, les écoutes le concernant, car comme ses autres collègues Porco ne dit rien ou pas grand chose.
Enzo Porco est en contact avec un docteur Calabrais, le docteur Simonetta. Porco serait ami avec le docteur depuis que ce dernier se soit occupé de Porco après qu'il ait été blessé par balle lors d'une tentative de meurtre.
Le Dr. Simonetta a des problèmes d'ordre financier avec l'une de ses associées, Mme Irish. Porco est enregistré avec Violi pour savoir quelle(s) méthode(s) utiliser afin de faire payer Mme Irish.
La solution de la bombe est choisie. Ainsi le 5 décembre 1974, Enzo Porco & Moreno Gallo font exploser une bombe au domicile de Mme Irish. Pour l'anecdote, Moreno Gallo était emprisonné en attente du jugement pour le meurtre d'Angelo Facchino (nous y reviendrons) et Simonetta lui a fourni un certificat médical afin qu'il puisse être libéré sous caution.
Le travail accompli, Porco & Gallo sont payés 10.000$. Ils sont tout de même un peu frustrés car ils réclamaient au début 15.000$.
Inutile de préciser que malgré les évidences, Porco nie tout en bloc face à la commission. Malgré tout il échappe à une condamnation pour outrage à la cour (répit de courte durée puisqu'il sera condamné 2 ans plus tard pour une série de braquages).
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Enzo Porco |
Jimmy De Santis en revanche va sérieusement s'attirer les foudres de la commission. Employé du Reggio Bar, De Santis est un des principaux exécutant de Violi.
La commission souhaite notamment l'interroger sur son implication avec Violi , Leslie Coleman & Vincent Statti dans des maisons de jeux en Ottawa ou comment se fait-il qu'il agit en tant qu'intermédiaire avec Roger O'Connor un gardien de la prison de Parthenais où sont incarcérés Moreno Gallo & Tony Vanelli.
O'Connor aurait fait passer à ces derniers cognac & haschich afin de s'acquitter d'une dette qu'il avait envers De Santis.
Il semble également que lors de la soirée 2 octobre 1973, De Santis était pris en filature par la police et aurait été relié à une tentative de meurtre.
Et c'est sans compter le tabassage de Pasquale Tullio par lui même et Enzo Porco.
Mais De Santis refuse catégoriquement de témoigner et même de passer serment, ce qui lui coûte d'être condamné à 1 an d'emprisonnement pour outrage à la cour.
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Jimmy De Santis |
Les témoins suivants à passer devant la commission sont Nick Maturo, Tony Teoli & Tony Mucci et surtout Pietro Sciara.
Les écoutes concernant Maturo sont assez intéressante car au contraire de la plupart des autres car il y est clairement question de commettre un meurtre. Mais Violi étant Violi il est en fait surtout question de gagner un peu d'argent avant tout.
Maturo est donc contacté en juin 1973 par le fils une famille d'Italiens dont le mari a délaissé femme & enfants afin de retourner au pays avec sa maitresse. Maturo qui a touché 1.000$ en acompte pour commencer ses recherches, échafaude un plan pour liquider le mari et soumet l'idée à Violi.
Avant de prendre la décision ou non de liquider le mari, Violi décide d'envoyer un de ses hommes en Italie pour voir si le mari ne reviendrait de lui même. Il estime qu'il serait plus plutôt judicieux d'extorquer le plus d'argent possible à la famille. Maturo est enchanté par l'idée car la famille possède de nombreux bijoux.
Finalement Violi aurait été payé pour ses "services" et le mari est rentrer au bercail. Lorsque l'on fait écouter les bandes à Maturo, ce dernier ne se souvient pas de l'incident.
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Nick Maturo |
Si le témoignage public de Teoli n'apporte strictement rien ou pas grand chose (il y est surtout questions de vols), il permet toutefois d'aborder le sujet la drogue. Il avoue avoir notamment fait plusieurs deals de drogue avec Guido Orsini, l'un des principaux lieutenants de Frank Cotroni.
Une conversation captée (mais bien sûr dont il ne se souviendra pas lorsqu'on l'interrogera), montre que Teoli a consulté au moins une fois Violi pour une transaction d'héroïne.
Il existe une idée selon laquelle Violi ne touchait pas (ou du moins pas directement) à la drogue, mais en 1973, Saverio Mammoliti, membre éminent de la 'ndrangheta, confiait à un agent infiltré du FBI que pour toute transaction de drogue il devait se référer à Antonio Macri & Girolamo Piromalli (respectivement les boss des côtes Ionienne & Thyrénienne de la 'ndrangheta en Calabre) et son ami Paolo Violi.
D'ailleurs en cette même année 1973 Mammoliti était impliqué dans l'affaire du kidnapping de Paul Getty III où deux présumés parents de Violi, Santo & Domenico Barbino, auraient été impliqués.
Teoli aurait semble-t-il été un peu plus bavard lord d'audiences à huis-clos. Dans son livre "le Neveu", Real Simard, ancien chauffeur/confident et exécuteur de Frank Cotroni, explique qu'au début des années 1980 son fils Frank Jr commençait à s'acoquinait avec Teoli.
Cotroni aurait chargé Simard de lui faire écouter les bandes des audiences à huis-clos et lui dire que Teoli n'est "pas un bon, y va t'attirer que du trouble. Ton père ne veut pas que tu te tiennes avec lui" [page 195 de la version Française, 147 pour la version Anglaise]
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Tony Teoli |
Tony Mucci, qui dans un premier temps adopte le même système de défense que De Santis, se ravise soudainement et accepte de témoigner. Enfin plus ou moins.
Mucci qui purge déjà une peine de 8 ans d'emprisonnement pour une tentative de meurtre sur la personne du journaliste Jean-Pierre Charbonneau, s'imagine en fait probablement assez mal récolter 1 an de plus pour outrage.
Mucci reconnaît donc qu'il est impliqué dans une série de vols et qu'il a écoulé de l'or. Lorsqu'il est interrogé sur la tentative de meurtre sur J-P Charbonneau, Mucci est en revanche beaucoup plus évasif. Lorsqu'on lui demande si c'est Violi qui lui a ordonné de le faire, il répond que "c'était commandé par ma tête", qu'il ne connaissait pas Charbonneau et que "si ça n'avait pas été lui, ça aurait été un autre".
Mucci en séance à huis-clos aurait déclaré que Violi est un "money hungry" (avide d'argent), ce qu'il ne confirme pas en séance publique.
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Tony Mucci |
Mais de tout les complices de Violi qui se succèdent à la barre en cette fin de mois de novembre 1975, celui qui a le plus de poids au sein de la mafia à Montréal est évidemment Pietro Sciara.
Né le 18 mai 1942 à Siculiana (province d'Agrigente), mais vivant à Cattolica Eraclea, Sciara a un pedigree bien chargé avec tentatives de meurtres soupçons de meurtres, charge pour lesquelles il est d'ailleurs avoir été acquitté.
Depuis 1963 et le meurtre de Antonino Galvano, un mafieux de Raffadali, une répression policière s'abat sur les éléments de la mafia de province d'Agrigente et Sciara condamné pour avoir enfreint la loi anti-mafia en vigueur est envoyé en décembre 1966 en résidence obligatoire à Abbiategrasso (Lombardie).
Mais il fausse compagnie à la surveillance policière et prend l'avion pour Montréal d'où il est immédiatement expulsé avant de revenir en 1970. Là encore il est expulsé mais revient en 1973. Condamné à 15 mois pour possession de faux papiers, il fait appel et reste en liberté en attente du jugement.
Selon les écoutes diffusées, Paolo Violi & Vic Cotroni expliquent qu'ils sont en mesure de procurer d'excellents faux papiers à leurs picciotti fraichement arrivés au Canada.
A noter que durant cette période Sciara n'est pas le seul dans cette situation puisque son homologue Leonardo Caruana s'est lui aussi installé à Montréal en 1966 avant de se faire expulser en 1972.
Grâce aux écoutes, la police sait que Sciara est un membre éminent de la mafia de Montréal et qu'il est très écouté par Paolo Violi.
Mais comme on peut s'y attendre, si Sciara ne refuse pas de témoigner ne dit strictement rien et son témoignage tourne rapidement à la farce. Alors que Paolo Violi et Vic & Frank Cotroni ont assistés au mariage de sa fille, il déclare ne pas les connaître.
Détail cocasse, il déclare ne pas savoir ce qu'est la mafia, ce qui aurait fait rire toute les personnes présente, y compris l'interprète de Sciara.
Trois mois plus tard, le 14 février 1976, Pietro Sciara se rend avec sa femme Rosa au cinéma pour assister à une séance en version Italienne du film "Le Parrain". A la sortie il est assassiné d'une balle dans la tête par un tireur. Le coup tiré par un fusil de chasse de calibre .12 a presque décapité Sciara.
Le cinéma d'où il sortait appartenait à Palmina Puliafito, la soeur de Vic Cotroni.
Ayant en tête le témoignage de Sciara devant la CECO quelques mois auparavant, un policier qui ne manque pas d'humour déclara: "Heureusement qu'il a pu voir "Le Parrain" avant de mourir, il a pu finalement apprendre ce qu'était la mafia".
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Pietro Sciara |
Lors du témoignage de Sciara, la commission a également mis en lumière une série de meurtres liés au clan Cotroni-Violi qui se sont déroulés lors de l'été 1973.
Le 10 juillet 1973, Mario Ciambrone & Salvatore Sergi, 2 picciotti du clan, sont retrouvés assassinés dans un parking de Ville Saint-Laurent. Les 2 individus (surtout Ciambrone) sont connus pour leur implication dans le trafic de drogue dans l'équipe de Frank Cotroni et il est établi que le meurtre est relatif à une transaction de drogue de mauvaise qualité effectuée avec des affiliés au club de motards des Devil's Disciple.
Entre les mois de juillet et septembre, plusieurs conversations téléphoniques entre Violi et Vic & Frank Cotroni sont captés où il est question de meurtre:
[Vraisemblablement Paolo Violi] "On doit trouver ce que c'est christ, pour savoir ce que ces hosties de Français sont après faire. Ils nous arrachent deux "picciotti" de cette façon-là, et maintenant ils se préparent pour tirer celui là"
“Facchino, oui, un jeune, oui, Facchino... c'est le beau-frère de l'horloger près d'ici. No, il faut s'en débarrasser parce qu'il a fait de mauvaises choses".
Lors d'une conversation téléphonique captée le 13 juillet, Frank Cotroni déclare à Violi:
"Ils sont tous fous! Ce sont les mêmes personnes qui ont "fait” Pat St-Louis. Ils étaient trois. On va les poigner tous les trois. On va les passer, les arranger. On va envoyer deux “picciotti”pour poigner un des frères. Après, on ira poigner l’Italien. [..] 'Facchino, Facchino, oui. Facchino, Facchino!"
Les 2 picciotti en question sont Moreno Gallo & Tony Vanelli qui le 2 septembre abattent Angelo Facchino alors qu'il sortait d'une discothèque. Gallo & Vanelli qui ont été vus par plusieurs témoins (dont par des soldats de la police militaire qui passait dans le coin lors d'une patrouille et qui ont vu Gallo tenir l'arme) sont arrêtés dès le lendemain.
Le lendemain, une conversation entre Violi & Sciara est captée dans la Gelataria Violi où Violi déclare ceci:
"Deux de nos gars ont été arrêtés, ce matin. La police a trouvé le revolver. Cette fois-ci, ça devait être fait. Je dis que nous devions faire cela parce qu'il était Italien et qu’il travaillait contre nous. Quand certains gars deviennent trop dangereux, il faut faire un nettoyage!".
Le 14 septembre c'est au tour de Tony Di Genova d'être abattu dans une salle de billard par 2 tireurs cagoulés. Di Genova est un membre actif de l'équipe de Frank Cotroni abattu en représailles du meurtre de Facchino.
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Tony Di Genova |
Le meurtre de Di Genova irrite particulièrement ses amis tels que Carlo Arena et Tony Mucci qui veulent échafauder un plan pour se venger des bikers.
A propos du meurtre de Di Genova Violi déclare:
"L'opération a été bien organisée. Tout, s’est déroulé en cinq minutes. L’arme et les cagoules ont été trouvées dans la ruelle. Pour calmer l’opinion des gens, il faut agir, bien agir, et faire un bon nettoyage une fois pour toutes.”
Le plan pour se débarrasser des motards est étudié lors d'une réunion à l'Hôtel Windsor. Se trouvait notamment à cette réunion Paolo Violi, Vic & Frank Cotroni, Joe Di Maulo, Nick Di Iorio, Tony Mucci & Carlo Arena.
Finalement, il est décidé qu'aucune représaille ne serait exercé, décision qui aurait fortement déplu aux jeunes picciotti.
Alors que Gallo & Vanelli croupissent en prison en attente de leurs procès, Violi déclare à Sciara lors d'une conversation:
"Ils n’ont pas travaillé comme des professionnels. Ils auraient dû se débarrasser des revolvers. Ces armes-là ne peuvent être utilisés qu'une seule fois. Ce sont des gars finis"
Violi charge donc Jimmy De Santis de faire passer le message à Roger O'Connor: les 2 picciotti doivent plaider coupables, ce que ces derniers font: Moreno Gallo est condamné à perpétuité et Vanelli est condamné à 7 ans pour complicité.
Le gardien O'Connor vient déposer spontanément devant la commission, et à huis-clos, et confirme avoir transmis le message de De Santis, ainsi que d'avoir fait passer les colis de haschich et cognac.
Interrogés pour la forme à propos de ces meurtres, Teoli & Mucci racontent qu'ils en ont brièvement entendus parler dans les journaux ou au cours de conversations banales.
Paolo Violi devant la Commission
Coup de théâtre le 29 novembre. Alors que ses complices viennent de témoigner (façon de parler), Paolo Violi est arrêté alors qu'il dinait au Windsor Arm Hotel de Toronto en compagnie de son avocat Maurice Hébert et de son beau-frère John Luppino.
Violi est arrêté pour des charges de conspirations pour coups et blessures dans le cadre de l'affaire Michel Cutone/Pasquale Tutillo, affaire où ce dernier avait été battu par Porco et De Santis.
Violi est renvoyé manu-militari à Montréal, plaide non-coupable et est attendu pour témoigner devant la commission pour le 2 décembre.
Une foule exceptionnelle est présente pour assister à l'audition de celui qui est présenté depuis plusieurs semaines comme le "boss" de la mafia à Montréal. Les gens s'attendent à des révélations en cascades. Ils vont bien sûr être très déçu.
Les juges interrogent Violi sur ce qu'il a à dire à propos de Facchino.
Réponse de Violi: "Je ne refuse pas de témoigner mais je n'ai rien à dire"
Les juges condamnent donc Violi à 1 an d'emprisonnement pour outrage.
Ce à quoi Violi répond par un simple "Thank you".
C'est sur cette phrase que ce termine les témoignages de la commission sur le clan Cotroni-Violi.
Mais le calvaire des dirigeants de la mafia de Montréal est en revanche loin d'être terminé.
Note: Vic Cotroni condamné précédèment à 1 an pour outrage à fait appel de sa condamnation et n'a finalement purgé que 8 mois. Son système de défense était qu'il remettait en cause l'autorité de la commission afin de le juger. Pendant le mois de novembre 1975 la commission eut essayé plusieurs fois de le faire comparaître mais il pu ésquiver en raison du motif invoqué.
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Paolo Violi lors de son passage devant la CECO |
Auditions d'informateurs confidentiels, experts et policiers
Si la partie concernant le défilé des témoins est la plus spectaculaire et celle qui retient le plus l'attention du grand public, la partie la plus instructive de la CECO, pour autant que l'on s'intéresse au mode de fonctionnement de la mafia, est sans conteste la partie où les experts et forces de l'ordre défilent à la barre.
Le 28 novembre, soit la veille du passage de Violi devant la commission, un informateur confidentiel accepte de témoigner en public sous couvert de l'anonymat. L'individu est cacher derrière un rideau et sa voix en modifiée avec un micro spécial.
Le témoignage de cet informateur à plus moins été moqué par la presse Canadienne de l'époque du fait de son manque de "sensationnalisme", et pourtant il ne manque pas d'infos importantes. Il faut préciser aussi que le reste du témoignage est éclipsé par la fameuse phrase "Paolo Violi , c'est comme un Dieu, on le craint et on le respecte. Paolo Violi c'est 1000 hommes".
Il est d'ailleurs assez curieux que même de nos jours les livres ne s'attardent que sur cette phrase (à mon humble avis sans grand intérêt) plutôt que sur le reste du témoignage.
L'informateur est donc un homme du "milieu" qui dit connaître assez bien Violi et ses principaux lieutenants. L'individu a connu Violi à la "Gelateria Violi" (une annexe du Reggio Bar) et explique que Violi l'aurait acquit illicitement: l'ancien propriétaire voulait la lui vendre 20.000$ et Violi ne lui aurait versé que 1.000$ sans jamais lui donner le reste.
L'indicateur confirme que Violi est en charge de la decina de Montréal depuis 1972 et la mort de Luigi Greco et que Cotroni n'agit désormais qu'en tant que "conseiller".
Il explique que Violi a des contacts en dehors de Montréal et prend des ordres de New York, Toronto, Buffalo et d'Italie. Evidemment, dans le faits Violi ne prend d'ordre que de New York étant donné qu'il dirige un crew de la Famille Bonanno, mais la référence à Buffalo (bien que sans aucun doute exagérée) n'est pas tout à fait anodine.
Lors d'écoutes effectuées dans un bureau de Magaddino, ce dernier a été enregistré en 1966 en train de sermoner Violi car durant le Bonanno Split il aurait tenu au courant l'un de ses cousins de Philadelphie des événements en cours, ce qui constitue une entorse aux règles de la Cosa Nostra.
Si Magaddino se permet de sermonner Violi c'est qu'avant de déménager à Montréal en 1963, Violi était actif en Ontario qui était un territoire sous l'autorité de Magaddino et qu'il était donc si non membre au moins sous l'autorité de ce dernier. Et l'on sait que bien qu'étant un boss de la 'ndrangheta, Giacomo Luppino opérait sous le "drapeau" de Magaddino et qu'il était le beau-père de Violi...
La référence à Toronto n'est pas non plus due au hasard puisqu'en 1969 son nom apparaît lors de l'enquête sur le meurtre de Filippo Vendemini, un membre influent de la 'ndrangheta à Toronto.
Outre les connexions avec l'Italie faites plus haut, des écoutes diffusées peu avant le témoignage de l'informateur Violi avait également envoyé l'un de ses hommes, Giulio Pannuti régler une affaire d'extorsion en Italie. On sait aussi que Violi a effectué un voyage en Sicile en 1972 afin de rencontrer d'autres "hommes d'honneurs" (les 2 évènements sont largement détaillés ici)
Outre les infos sur Violi, l'informateur va donner également donner un bon nombre d'éléments sur l'équipe dirigée par Frank Cotroni.
Selon l'informateur, Cotroni aurait succédé à Salvatore Sorrentino à la tête de son équipe. Info qui bizarrement passera complètement inaperçue par la suite, mais qui indique clairement que Sorrentino était un membre important de la Famille Bonanno à Montréal. A noter que Frank Cotroni a d'ailleurs des ennuis juridiques du côté des USA aux moment des audiences de la CECO car il vient juste d'être condamné pour trafic de drogue aux côtés de son acolyte Frank Dasti à 15 ans de prison. Selon l'informateur, c'est Joe Di Maulo qui dirige l'équipe de Sorrentino/Cotroni depuis l'incarcération de Frank Cotroni.
Dernière info notable sur l'équipe de Frank Cotroni, c'est Cotroni lui même qui aurait organisé la tentative de meurtre sur Jean-Pierre Charbonneau. Au moment des faits, le 1er mai 1973, Charbonneau était en train de travailler sur son livre "La Filière Canadienne" ["The Canadian Connection" pour le titre Anglais], livre qui décrit les rouages du trafic de drogue au Canada et ses connexions avec la pègre Française et la mafia en Italie & USA.
Sans surprise, Frank Cotroni est largement mentionné dans ce livre donc l'info fait totalement sens.
Note: Chaque personne s'intéressant à la mafia et au trafic de drogue ou autres connexions internationales doit impérativement lire cet ouvrage référentiel.
L'informateur confirme également les liens entre les meurtres de Ciambrone, Sergi & Facchino, que les picciotti étaient ressortis déçus de la réunion de l'hôtel Windsor et que outre les éléments Italiens, des individus juifs tels que Irving Goldstein travaillent pour Paolo Violi.
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L'informateur confidentiel témoigne derrière le rideau à gauche |
La suite des audiences s'attarde ensuite sur les relations de la mafia de Montréal avec la "maison mère" de New York et ses relations à l'international.
Deux agents du FBI viennent ainsi témoigner du fait qu'ils ont observé des membres du crew de Montréal être partie prenante lors de l'élection d'un nouveau boss à la tête de la Famille Bonanno.
le 28 août 1973 le boss de la Famille Bonanno décède d'un cancer. Une élection doit avoir lieu afin d'élire un nouveau boss et 3 candidats sont en lice pour occuper le poste. Chaque crew de la Famille doit voter et celui de Montréal ne fait bien sûr pas exception, d'autant plus que les 3 candidats ont des liens avec Montréal. Les 3 candidats sont:
-Philip "Rusty" Rastelli, alors underboss sous Evola. Il a notamment séjourné à Montréal dans le courant des années 1960 lors du "Bonanno Split" (voir lien un peu plus haut) afin d'échapper à d'éventuelles représailles de la part de ses adversaires.
-Vito DeFilippo, capodecina de l'ancien crew de Carmine Galante, il avait assuré l'intérim du crew de Montréal entre 1958 et 1960 avant de laisser la place officiellement à Vic Cotroni. En novembre 1966 lors du Bonanno Split, il avait effectué un voyage à Montréal avec entre autre Bill Bonanno avant de se faire expulser du Canada.
-Michael Zaffarano, également capodecina est notamment le beau-frère de Joseph Asaro, un mafieux bien connu de New York qui a séjourné à Montréal alors qu'il était recherché aux USA pour un braquage. Il a été arrêté en 1966 chez la maîtresse de Cotroni (affaire qui fera par la suite scandale car Vic Cotroni aurait tenté de soudoyer un agent de la GRC afin qu'il passe sous silence l'affaire).
Entre le 20 octobre 1973 et le 19 mars 1974, une dizaine de conversations sont ainsi captées entre Cotroni, Violi, Joe Di Maulo, Nick Rizzuto, Nicola "Zu Cola "Colio (un obscur membre du crew de Montréal), Pietro Sciara & Phil Rastelli.
Rastelli se rend à Montréal le 6 novembre 1973 et y rencontre Violi à la Gelateria Violi. Il suggère à Violi qu'il se rende à New York avec Frank Cotroni pour une rencontre à l'Americana Hotel de New York avec une délégation de la Famille Bonanno censée se dérouler le 11 novembre (on connait ce détail grâce à une conversation enregistré entre Violi et Colio).
Frank Cotroni décline l'invitation car il se sait sous étroite surveillance policière et il est décidé qu'il sera remplacé par Joe Di Maulo. Il est décidé que Violi & Di Maulo se rendent à New York séparément: Violi prend l'avion alors que Di Maulo s'y rend en voiture accompagné de son beau-frère Raynald Desjardins et Robert Théoret.
La rencontre à lieu au Jokey Club bar de l'hôtel et Violi & Di Maulo y rencontrent Rastelli, Nicholas "Nicky Glasses" Marangello (Consigliere de la Famille) & Giuseppe "Joe" Buccellato.
Le 19 décembre, Rastelli passe un coup de téléphone à Violi pour lui dire que l'élection aura lieu au début de l'année 1974. Violi effectue de nouveau un voyage à New York le 25 février 1974 afin de rencontrer Rastelli, qui a été élu officiellement boss la Famille le 15 février.
On sait grâce à une conversation téléphonique entre Violi & Nick Rizzuto (alors en éxil au Vénézuela) que Romeo Bucci a représenté le crew de Montréal lors du vote et que Nicholas Marangello & Stefano Cannone sont respectivement promus Underboss et Consigliere.
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Organigrame présenté à la CECO sur la place de Montréal dans la hiérarchie de la Famille Bonanno |
Interrogé plus tard sur son voyage à New York, Violi déclare aux enquêteurs: Violi dira: "J'avais reçu un appel de "Mike" [Rastelli] qui me demandait d’aller le rencontrer à New York avec Nick Marangelo. J’y ai rencontré par hasard Jos DiMaulo et son beau-frère. Mike m’a parlé d’un projet d'importation de fruits que j’ai finalement jugé trop dangereux. Des problèmes de transports. Des fruits qui ne se conservent plus après cinq jours! Avant de quitter New York, j’ai achété une cuve pour fabriquer de la crème glacée."
Di Maulo est également interrogé est explique qu'il voulait simplement visiter des Pizzerias pour ses propres affaires de restaurations. Mais il change version plus tard et confirme que Desjardins & Théoret l'ont accompagné ce jour là. Il explique également qu'il ne peut pas comparaître devant la commission, même à huis-clos, car à cause de ses précédents procès il n'a plus d'argent et il a peur que l'histoire de l'élection de Rastelli fasse trop de vagues. Il décide de prendre des "vacances" à durée indéterminé en Floride le temps que les choses se tassent à Montréal.
Lors des écoutes diffusées concernant la Famille Bonanno, un enregistrement de Violi explique à Pietro Sciara, Giuseppe Cuffaro & Carmelo Salemi, tout 2 membres de Cosa Nostra en Sicile, que le crew de Montréal est actuellement (en 1974) composé de 20 membres et que 10 doivent être remplacés (ce qui veut probablement dire que les 10 en questions sont inactifs ou vieillissants). Cuffaro qui souhaiterais être reconnu officiellement comme membre officiel de la decina, se voit expliquer par Violi & Sciara qu'il ne peut actuellement pas l'être car il doit d'abord passer par une période de probation de 5 ans.
Le fait que Sciara utilise le mot "On" indique clairement qu'il est reconnu désormais officiellement comme un membre à part entière de la decina (et donc de la Famille Bonanno). D'ailleurs le 10 janvier 1975, Violi a chargé Sciara & Sorrentino de se rendrent à NY afin de demander officiellement à Rastelli & Marangello de nommer quelqu'un officiellement à la tête de la decina pendant l'incarcération de Cotroni.
Selon cette même conversation, Violi ne peut pas intronisé lui même de nouveaux membres, ce qui est en somme toute logique, étant donné que Montréal dépend de la Famille Bonanno.
Si l'on se réfère aux écoutes, le crew de Montréal de la mort de Luigi Greco en 1972 à 1975 ressemblerait à ceci:
Capo: Vic Cotroni
Acting Capo: Paolo Violi
Soldats: Romeo Bucci, Nicola Colio, Giuseppe & Frank Cotroni, Nicola Di Iorio, Joe Di Maulo, Calogero Renda, Nicolo Rizzuto, Pietro Sciara & Salvatore Sorrentino.
D'autres individus comme Pietro Adamo, Vincenzo Di Maulo, Francesco & Rocco Violi, Leonardo Caruana jusqu'à son expulsion du Canada en 1972), Frank Dasti ou encore Jimmy Soccio sont très vraisemblablement également membres sur cette période mais cela n'a (à ma connaissance) jamais été formellement confirmé.
Cela fait donc 12 membres confirmés sans compter le nombre indéfinis de mafieux Siciliens comme Giuseppe Cuffaro en attente d'être formellement reconnus comme membres à part entière de la decina de Montréal.
[Note: dans son ouvrage de référence "Histoire du Crime Organisé à Montréal pages 293-294, Pierre de Champlain note que Francesco Violi a été chargé par Paolo d'être acting boss pendant son incarcération. Si c'est le cas ça fait de lui un membre confirmé même s'il n'occupera pas longtemps le poste de capo par interim puisqu'il est assassiné 1 an plus tard le 8 février 1977.]
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Carmelo Salemi en visite à Montréal |
Le témoin final de la commission concernant le volet Violi-Cotroni est le Dr. Alberto Sabatino, attaché au centre criminel national du ministère de l'intérieur en Italie, qui s'est notamment rendu célèbre pour avoir mené le raid lors de la réunion de la 'ndrangheta à Montalto le 26 octobre 1969.
Sabatino est là pour expliquer la loi anti-mafia en vigueur en Italie qui consiste à isolé et assigné en résidence forcé les membres reconnus mais surtout a expliquer le fonctionnement de la mafia en Sicile & Calabre et les différences entre leurs homologues Américains & Canadiens.
Bien que structuré de la même façon que la Mafia en Sicile, la Mafia Américaine est différente car elle accèpte des élèments Calabrais en son sein et qu'en Italie il serait impensable qu'un Calabrais soit à la tête d'une cosca (une Famille) comme à Montréal. Cela dit Sabatino semble ici faire abstraction du fait que Montréal n'est pas une "cosca" mais une "decina", une équipe dépendant d'une autre Famille, mais c'est un point de détail.
Sabatino explique toutefois que Montréal à un statut spécial car lorsque un différend éclate entre différent membre l'on fait un venir un conseiller venant de Sicile ou de Calabre selon les cas. Ce sont celui lui des "rapports d'assistance et d'affinités" entre ceux qui vivent à Montréal et ceux vivant en Italie. Il ajoute que selon lui Montréal n'a pas la même autonomie que les Américains vis-à-vis de l'Italie.
Pour Illustrer son propos il prend les exemples de Giuseppe Settecasi, capo de la province d'Agrigente, Carmelo Salemi, capo de la cosca d'Agrigente, et de Pietro Sciara & Leonardo Caruana, tous deux membres de la Famille de Siculiana et vivants à Montréal (tout du moins jusqu'à leurs meurtres et expulsions en 1976 pour l'un et 1972 pour l'autre).
Les cas de Settecasi & Salemi sont particulièrement révélateurs car le premier était venu à Montréal en 1972 afin d'agir en tant que médiateur lors du conflit entre Paolo Violi & Nicolo Rizzuto, et le second était venu en 1974 afin d'apporter à Violi une lettre de Settecasi le tenant au courant des événements récents en Sicile, en l'occurence, la nomination de Leonardo Caruana en tant que capomandamento (chef de district) de Siculiana.
Pour être complet sur ces fameuses réunions entourant le conflit Violi/Rizzuto, en plus de Settecasi d'autres émissaires de la Familles Bonanno tels que Nicolo Alfano, Nicolo Buttafuoco se sont rendus à Montréal en 1972 pour calmer les tensions entre les deux mafiosi. Ces réunions + les meurtres de certains individus mentionnés dans l'article sont un peu plus détaillés dans cet article.
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le Dr. Alberto Sabatino devant la CECO |
Quelques noms reviennent
Bien que les audiences concernant le clan Cotroni-Violi soient terminées, les noms de certains individus vont toutefois revenir à plusieurs reprises, notamment en 1977.
Le premier de ceux-ci est celui de Joe Di Maulo. Selon Normand Ostiguy, un agent de la CUM, Joe Di Maulo serait désormais à la tête de la mafia à Montréal. Ziggy Wiseman, un pégriot à la tête d'un réseau de massages (en clair, des bordels), est assigné à comparaître devant la CECO et confirme les dires de Ostiguy en précisant qu'il a approché Di Maulo pour s'associer avec lui dans son réseau de salons, ce qu'il aurait refusé du fait de la pression exercé à l'époque sur le clan Cotroni-Violi par la CECO.
C'est à ce moment là que Di Maulo décide de rentrer de ses "vacances" de Floride. Di Maulo est assigné à comparaître au mois de mai, mais son témoignage se déroule à huis-clos. Di Maulo déclare être prêt à répondre à toute les questions qui lui seront posées, hélas on ne saura rien de qui en a été dit car à ma connaissance rien n'a filtré.
On se doute toutefois que, si il n'a pas eu de condamnation pour outrage ou refus de témoigner, Di Maulo n'a probablement rien dit qui vaille d'être souligné.
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Joe Di Maulo (à droite) avec son avocat avant de comparaître |
Pour finir avec les audiences de la CECO et le clan Cotroni-Violi, impossible de ne pas parler du témoignage de Luigi D'Amico qui ne semble être en 1977 qu'un sympathique éleveur de moutons à Granby.
D'Amico, qui dit avoir émigré au Canada en 1966 (selon d'autres articles en 1957), explique qu'il a acheté 3200 moutons venant du Texas afin de les envoyer à l'abattoir, mais le boucher lui en demande 5.000$, somme que D'Amico ne peut pas payer.
C'est donc tout naturellement que D'Amico se tourne vers son ami Paolo Violi qui le met en relation avec William Obront afin de régler le problème. Obront, qui ce jour là est en compagnie de Roland Pannunzio un boucher et associé de longue date du clan Cotroni, s'exécute et fait un chèque à D'Amico qu'il ne connaissait même pas.
Pour remercier Violi, D'Amico offra chaque année aux périodes de Noël et Pâques un mouton à Paolo Violi.
Il dira: "C’est une coutume italienne que de remercier ses amis en leur envoyant des moutons"
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Luigi D'Amico |
Ce témoignage prend toute sa saveur quand en janvier 2013 une procédure d'expulsion est lancée à l'encontre de D'Amico.
D'Amico est en fait une des têtes de la mafia au Québec et est entre autre impliqué depuis 1992 dans des affaires d'entrave à la justice et de cocaïne. Des écoutes effectuées lors de l'Opération Colisée démontrent que D'Amico est un ami de Vito qu'il "considère comme son fils", mais il a de gros problèmes avec Francesco Arcadi, l'un des principal lieutenant de Rizzuto, à qui il reproche une dette de 900.000$.
Le conflit entre D'Amico & Arcadi aurait particulièrement dégénéré après que D'Amico aurant envoyé Sergio Piccirilli, un truand ayant des liens avec la mafia et les bikers, au Cosenza Social Club en éxhibant une arme. Arcadi aurait par la suite fait louer un hélicoptère et fait tirer ses hommes au AK-47 sur le toit de la maison de D'Amico.
Un peu vexé, D'Amico aurait ensuite fait kidnapper Nick Varacalli, un trafiquant de cannabis connecté à Arcadi ... (que tout le monde se rassure, Varacalli a ensuite été libéré...)
Luigi D'Amico est expulsé du Canada au mois de mai 2013.
Conclusion
Bien que le bilan judiciaire de la CECO sera plutôt faible, il sera toutefois lourd de conséquences pour la mafia de Montréal. Non seulement il provoquera la fin de son chef et de ses principaux subordonnés, mais il a mis en lumière les noms des principaux membres de la mafia au Québec, et peut être plus important son mode de fonctionnement.
Il est toujours fascinant 50 ans après de voir que les choses n'ont pas vraiment bouger: il y est toujours question de multiples clans dirigés par un leader (Nick, Vito, Leonardo Rizzuto et leurs amis), es connexions avec l'Italie semble êtres toujours présentes, etc... La seule petite différence est peut être qu'un doute subsiste sur le fait de l'appartenance actuelle à la Famille Bonanno (et au risque de me prendre une volée de bois, à leurs appartenances à Cosa Nostra, je rêverais que ce point soit éclairci un jour), mais si on se penche sur les événements récents tout les éléments étaient déjà là dans les années 1970, au moins sur le plan structurel.
Aussi, la façon de fonctionner de la decina de Montréal, me fait personnellement penser au débat de mes camarades du podcast de The Mob Archeologists: Organizational Vs. Operational: What separates the formal mafia organization from how it operates?
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