Du Rififi à Pigalle: les frères Stefani, Ange Foata, Pierre Marini et les autres

Durant les années 1930, des clans composés d'éléments Corses commencent à s'implanter dans le paysage du crime organisé Parisien. Implantés dans principalement dans le quartier de Pigalle/Montmartre, les Corses vont d'abord s'unir contre leurs rivaux Parisiens avant de finir par s'entre-déchirer lors de luttes intestines.

Portes-étendards de ces nouveaux types de criminels, les frères Stefani, menés par Jean-Paul, et Pierre Marini, ne vont cesser pendant les années 1930 de faire la une des journaux, notamment à cause d'une vendetta qui est la première du genre importée sur le continent.

Pierre Marini & les frères Stefani

Les infos sur les frères Stefani, Jean-Paul, Etienne & Marcel, sont assez compliquées à glaner. Dans son (excellent) livre "Les Bandits Corses", Gégory Auda rapporte que Jean-Paul, né le 19 avril 1902 à Porto-Vecchio (Corse-du-Sud), est arrêté en 1923 pour désertion dans l'armée, et qu'il est impliqué entre 1926 et 1931 dans plusieurs affaires de proxénétisme et d'au moins un meurtre pour lequel il est acquitté. Il serait ensuite monté sur Paris en 1932.

En revanche on apprend grâce au événements qui vont suivre que J-P est impliqué dans la mort plutôt curieuse d'une jeune Parisienne de 18 ans, Simone Gallois.

Son père rapporte que dans le courant de l'année 1927, la jeune fille a été kidnappée par Stefani pendant plusieurs mois. Il apprend entre temps que Simone & Jean-Paul sont arrêtés à Bonficacio pour un motif inconnu (selon toute vraisemblance, ils ont été arrêtés dans un bordel que tenait Stefani). Elle finit par réapparaitre et demande l'autorisation à son père de se marier avec Jean-Paul Stefani, ce qu'il accepte.

En août 1928, Simone Gallois monte à Paris voir sa mère. Elle lui explique qu'elle est malade car Stefani aurait pratiqué sur elle "des manoeuvres abortives". Elle rentre le lendemain à l'hôpital Saint-Antoine pour décéder 2 jours plus tard.

Stefani lui a disparu mais revient voir ses ex-beaux parents pour réclamer des vêtements qu'il avait offert à sa femme. On imagine aisément la réaction des parents.

Une chose est sûre c'est qu'une fois installé sur Paris, les 3 frères sont très impliqués dans le trafic de drogue.

Jean-Paul Stefani
 

On en sait un peu plus sur le passé de Marini avant qu'il ne s'installe sur Paris. 

Pierre Marini, qui préfère que l'on l'appelle Joseph, est né en 1898 à Calenzana, Haute-Corse. On ne sait pas vraiment quand il va débarquer en France métropolitaine, mais en 1915, à l'âge de 17 ans il va être condamné pour un délit et va à partir de là, suivre le cursus classique de la plupart des hommes du Milieu de l'époque. D'abord envoyé en colonie pénitentiaire (en clair, une maison de correction où l'on apprend aux détenus la discipline à coup de bâton), il est envoyé à sa majorité aux bataillons d'infanterie légère d'Afrique, plus communément appelés les Bats d'Af.

Les Bats d'Af était une unité de l'armée de terre Française située dans plusieurs endroits en Afrique du Nord où était envoyé les mauvais garçons trop indisciplinés pour suivre un service militaire normal, dont notamment les délinquants comme Marini. 

Basiquement, les "soldats" y effectuent des corvées comme creuser des tranchées dans le désert, ou effectuer de longues marches, le tout en plein cagnard et sous l'oeil de supérieurs tyrannique. Un des seuls loisirs des hommes là bas est de se faire tatouer. Ainsi, la plupart des hommes du Milieu étant passé par les Bat d'Af avaient le corps couver de tatouages à l'instar des Yakuzas. 

Outre Marini, des individus comme Paul Carbone, Dominique Paoleschi, Jean-Baptiste & Emile Buisson, Jo Attia, Pierre Loutrel, sont passés par les Bat d'Af.

Après un passage dans le sud de la France à Marseille et à Nîmes où il est condamné comme souteneur, il monte à Paris en 1924 et s'installe dans le quartier de Pigalle où un bon nombre de truands Corses et Marseillais commencent à s'installer. 

Là bas, il séduit une fille et commence à en faire "travailler" d'autres. Il devient vite riche et commence à fréquenter les cercles de jeux. Ce serait en 1926 qu'il aurait gagné son surnom de "Capitaine des Corses".

Mais en novembre 1928, il est blessé par plusieurs coups de feux tirés par un concurrent. Transporté à l'hôpital, il s'échappe afin d'éviter une arrestation et part pour l'Indochine où il va continuer ses activités de mac.

Bénéficiant d'un non-lieu plus tard dans cette affaire, il retourne en France en 1930. A son retour, il va découvrir qu'un conflit avec ses compatriotes Corses et des criminels Parisiens est sur le point d'éclater et il va en être l'un des principaux acteurs.

Pierre Marini

 

Les Corses contre les Parisiens

Vers la fin des années 20/début des années 30, des tensions vont naître entre les truands Parisiens et les Corses qui, avec leurs façons de faire et leurs caractères Méditerranéen, ont des différences avec les "nordistes". Si les conflits et les séries de meurtres ne sont pas forcément reliés, ils ont en revanche tous le même schéma: un individu prend mal un affront, et le conflit se transforme en règlement de compte.

Un des premiers meurtres du genre est celui de Robert Guitton alias "Guitton la Douceur", un caïd Parisien actif dans prostitution. Guitton a décidé que toute les filles travaillant pour les Corses devaient dorénavant bosser pour lui. Un jour de 1930 il va trouver une prostituée surnommée "Mimi la Rouge" afin de la débaucher. Mimi travaille pour un Corse appelé Paul Taddei, dont le quartier général est le bar "le Mondain" situé rue Fontaine. 

Refus de Mimi qui gifle Guitton. Taddei accompagné de 3 hommes, Paul Petit, Dominique Cristini & Vincent Albertini sortent du bar et auraient demandé à Guitton combien il était prêt à débourser pour s'offrir les services de Mimi. Il semblerait que la réponse ne leur auraient pas convenu car Guitton est abattu de 6 balles.

Plus tard la même année. Casimir Micheletti est un des pontes de la traite des blanches [traduction correcte pour nos amis Anglophone: White Slavery] qui a fait fortune en Amérique-du-Sud en Angleterre et en Afrique-du-Nord. 

Lors d'une dispute sur un deal de cocaïne, Micheletti tue "Bebert l'Algérien" ainsi qu'un dénommé Gode, associé de Bebert. Un autre individu rescapé ce soir là Eugène Gory est abattu quelques mois plus tard à Tunis. Micheletti se fait également flinguer quelques jours plus tard à Amsterdam à la suite d'un différent financier par Juan Castaner, un truand Franco-Espagnol.

Mais la plus sérieuse tuerie a lieu 2 ans plus tard dans la nuit du 12 au 13 février 1932 et elle va concerner directement l'entourage de Stefani & Marini.

Ce soir là, un Corse nommé Martino sort du cabaret "la Boule Noire", quand il est abattu par 4 individus. Martino aurait été vu quelques minutes avant en train de se disputer avec l'un des individus. 

L'objet de la dispute aurait été que Martino était trop gourmand au sujets de bénéfices liés à des affaires de prostitution.

Les Corses du bar "Chez Dante" décident d'aller en découdre avec les Parisiens et un rendez-vous entre les Corses & les Parisiens est donné vers 3h du matin devant le cabaret "l'Ange Rouge" qui se situe rue Fontaine. Les Parisiens sont positionnés devant le bar "le Zelly's" et les Corses sur le trottoir d'en face. 

La suite est digne du western "Règlements de compte à O.K. Corral". Les deux camps vident leurs chargeurs et ne sont seulement interrompus que quand la police intervient (la police comptera d'ailleurs 36 balles !). Jean-Paul Dary, l'un des principaux lieutenants de Marini est la seule victime parmi les truands, il est touché à la tête et blessé à l'oeil mais s'en sort. 

La seule victime de la fusillade est Jeanne Michaud, une sans-abris âgée de 61 ans qui dormait devant la vitrine du "Zelly's"

A noter que bar "Chez Dante" est la propriété de Dante Tortorelli, l'un des personnages les plus respectés et craint du Milieu Corse. On en sait assez peu sur lui mais il est réputé comme un très proche des frères Stefani, de Dominique Paoleschi et dans une moindre mesure de Marini. Son bar était également l'un des principaux point de rencontre de la pègre Corse & Marseillaise à Paris.

Marini & Stefani et le trafic de drogue: les causes d'une Vendetta

Si il ne fait aucun doute que les frères Stefani sont impliqués dans le trafic de drogue, Pierre Marini l'est également. Malheureusement pour lui, ses affaires marchent beaucoup moins bien que celle de ses concurrent.

Marini a récemment acquit à Nanterre un laboratoire de transformation d'opium brut en héroïne. Le labo lui a été vendu par les frères Eliopoulos, des Franco-Grecs impliqués eux aussi depuis longtemps dans le trafic de drogue. Grands seigneurs, les Eliopoulos lui fournissent également le chimiste qui va avec (selon les versions, il s'agit d'un Hongrois ou d'un Allemand)

Malheureusement pour lui, Marini tire très peu de bénéfices du labo et décide de le vendre à Jean-Paul Stefani, selon les sources 50.000 Francs. Mais au contraire de Marini, Stefani tire de grands bénéfices du labo, ce qui va bientôt causer d'énorme problèmes et remous au sein des 2 clans, car non seulement Stefani tire de plus gros bénéfices que Marini dans le trafic de drogue mais il semble bénéficier d'une certaine impunité et ainsi d'échapper aux attentions de la police.

Une rumeur indique également que des tensions seraient aussi nées entre les Stefani & Marini après que ce dernier ait recruté des agents élctoraux pour un politicien en Corse alors que les Stefani auraient soutenus un autre candidat. 

Il n'en faut pas plus pour que Marini charge Ange Foata, son principal lieutenant dans le trafic de drogue, de colporter la rumeur que si les frères Stefani ont autant de succès dans leur domaine, c'est parce qu'ils sont des indicateurs protégés par la police

Ange Foata

Les tensions vont être exacerbées quand le 21 décembre 1934 trois hommes travaillant pour Marini, Joseph Rocca-Serra, Vincent Battestini & André Antonelli, sont arrêtés en possession d'une centaine de paquets d'héroïne et de cocaïne dans un restaurant de l'avenue Trudaine. Au cours de l'arrestation Rocca-Serra tente d'ouvrir un placard qui, comme la police le découvrira plus tard, contenait une arme. 

En février 1935, Battestini & Antonelli sont acquittés et seul Rocca-Serra est condamné à 13 mois de prison, 500 Francs d'amende et 5 ans d'interdiction de séjour.

Battestini, Rocca-Serra & Antonelli

Mais le verdict est éclipsé car au lendemain de l'arrestation des 3 trafiquants la presse à les yeux rivés sur une série de meurtres touchant directement les clans Stefani & Marini/Foata

La folle nuit du 22 décembre 1934

Les rumeurs lancées par Foata arrivent vite aux oreilles de Stefani qui, comme l'on peut s'en douter, ne le prend pas très bien et décide donc de faire taire Foata de façon permanente.

Le 22 décembre 1934 à 21h30, Foata se rend au cabaret le "Rat-Mort" place Pigalle en compagnie de plusieurs amis ainsi que de sa maitresse Madeleine Keusch et son fils François alors âgé de 5 ans.

A peine est-il installé que quelqu'un posté au niveau de la porte d'entrée du cabaret fait feu sur le groupe, blessant gravement Foata mais surtout le petit François Keusch qui décède quelques instants plus tard. Un autre individu nommé Polosse Archambault est également blessé mais sans trop de gravité.

Foata avec Madeleine & François Keusch

Un individu suspect est arrêté quelques mètres plus loin en possession d'une arme. Il s'agit de Jean-Paul Stefani qui est conduit au poste de police, afin de s'expliquer. Mais Stefani ne dit évidemment rien et déclare même ne connaitre ni Foata, ni Madeleine Keusch.

J-P Stefani arrêté après la fusillade du Rat-Mort
 

Mais la soirée ne fait en fait que commencer. A minuit et quart, un taxi s'arrête devant le poste de police rue de la Rouchefoucauld. Un individu gravement blessé par balle s'y trouve. L'homme est identifié comme étant Etienne "Bébé" Stefani, le frère de Jean-Paul, qui est conduit à l'hôpital Bichat où il décède quelques instants plus tard.

Avant de décéder, Stefani est interrogé par deux inspecteurs à qui il aurait déclaré que c'était un "pote" qui lui aurait tiré dessus pour une histoire de vengeance et qu'il leurs donnerait plus de tuyaux. Mais il n'en aura pas le temps.

Il est établi que la fusillade entrainant la mort d'Etienne Stefani a eu lieu au bar "Charles" situé rue Fontaine dont le propriétaire est Charles Mozziconacci, un ami des frères Stefani. La fusillade aurait éclaté de 2 à 3 heures après celle du "Rat-Mort".

Etienne "Bébé" Stefani

Un Corso-Marseillais nommé Antoine "Toinon" Silvestri est fortement soupçonné d'être l'auteur du meurtre d'Etienne Stefani, mais les charges à son encontre sont abandonnées faute de preuves.

Selon Marie Paoleschi dans son livre "Le Milieu et moi" (page 66), Silvestri était un proxénète analphabète et un rustre sans envergure qui travaillait avec Foata. Silvestri aurait exécuté Stefani après que ce dernier aurait proposé de lui payer un verre, ce geste étant pris par Silvestri comme une provocation. 

Selon elle, il s'agit ici d'une initiative de Silvestri et Foata ne lui aurait jamais demander d'exécuter Stefani.

Si la version de Marie Paoleschi est plus ou moins crédible, il est toutefois évident que le geste de Silvestri est clairement fait dans le but de "laver l'honneur" de Foata. D'autant plus que Grégory Auda rapporte dans son livre que Silvestri était un peu plus tôt l'un des visiteurs de Foata quand il était hospitalisé. Les autres visiteurs de Foata ce soir là  aurait été Marini, Dary & un dénommé "Charles V." (page 197)

Antoine "Toinon" Silvestri relâché après le meurtre de Stefani

Pendant ce temps là, Jean-Paul Stefani est inculpé d'homicide volontaire et incarcéré en attendant son procès.

150 kilos d'opium et la fusillade du Royal

Alors que Jean-Paul Stefani est en attente de son procès son clan et celui de Pierre Marini vont tout deux faire la une de la presse au cours de l'année 1935.

Le 12 février 1935, des gendarmes contrôlent à Moret (Seine-et-Marne) une grosse voiture dont les 3 occupants sont assis à l'avant. Les gendarmes sont interloqués par le fait que les papiers donné par les occupants ne sont pas ceux correspondants au véhicule.

Après une fouille du véhicule, 2 malles contenant un total de 150 kilos d'opium dissimulées sous le siège passager sont retrouvées ainsi que plusieurs armes.

Les trois individus sont Charles Mozziconacci, Dominique Carlotti & François Sciarli. Non seulement les trois sont membres du clan Stefani, mais quand ils ont donné les papiers du véhicule aux gendarmes, ils ont en fait donner les papiers de la voiture de Jean-Paul Stefani...

Les trois trafiquants sont interrogés sur la provenance de la drogue et déclarent que c'est un chinois qu'ils ont rencontrés à Marseille qui leur a confié la drogue afin de la livrer à un autre Chinois habitant à Montparnasse. Version que évidemment personne ne croit.

Selon les constatations des gendarmes, il s'agissait d'opium brut impossible a consommer en tant que tel, et la théorie privilégiée est que les 3 hommes convoyaient la drogue à destination d'un laboratoire afin de transformer l'opium en héroïne.

Juste pour la forme, les 3 Corses sont interrogés à propos du meurtre d'Etienne Stefani (on se souvient qu'il a été abattu dans le bar de Mozziconacci), mais évidemment personne ne sait rien.

Le sort des 3 trafiquants est malheureusement inconnu.

Dominique Carlotti & François Sciarli
 

Alors que le clan Stefani continue dans ses affaire de drogue, il semble que Marini lui se concentre plutôt sur ses affaires de rackets et d'extorsions (juste pour être clair, ça ne veut pas dire qu'il a abandonné le trafic de drogue, mais aucune affaire apparente n'est fait mention à ce sujet pendant cette période)

Le "Royal" est un de ces bars fréquenté par la pègre et qui est tenu par une certaine madame Barbier. En 1934, Marini envoi un de ses amis et associé Mario Parravicini pour "emprunter" à la patronne 5000 Francs, ce que la patronne accepte dans un premier temps pour avoir la paix.

Parravicini, alias "Mario le Rital", est un caïd bien connu de la pègre de Pigalle/Montmartre. En 1933 il a tué un travelo-prostitué Algérien qui avait violé une fille travaillant pour lui nommé Maryse. Recherché par la police, il fuit la France pour l'Espagne où il se fait arrêter un peu plus tard avec Antoine La RoccaIl est malgré tout acquitté des charges pesant contre lui et est de retour dans ses affaires avec Marini.

Parravicini & Marini reviennent 1 an plus tard au Royal, demandant cette fois-ci 50.000 Francs. Barbier décide de demander de l'aide à Joseph Poli alias "Louis le Marseillais" pour se mettre sous sa protection. Poli, membre respecté et connu du Milieu, conseille à Barbier de ne rien payer et lui dit qu'il va s'occuper de régler l'affaire. 

Joseph Poli alias "Louis le Marseillais"
 

Le soir du 15 novembre 1935, Joseph Marini vient au Royal accompagné de Dary, Parravicini et d'un individu appelé Roch Filippi. Mis au courant, Poli arrive un peu plus tard avec Fleury Di Nola et le pas encore grand baron de la drogue mais déjà redoutable truand respecté, Auguste Ricord (selon Grégory Auda dans son livre "Bandits Corses", un individu nommé Albert Guérin était avec eux). 

Note: Fleury Di Nola est un proche de l'équipe des frères Stefani et un cousin du célèbre caïd Marseillais François Spirito.

Le Petit Provençal, 3 août 1937
 

Alors que certains des individus montent à l'étage du bar pour s'entretenir à propos de l'affaire du paiement, une fusillade commence. 

Parravicini est sérieusement touché et transporté à l'hôpital où il meurt quelques heures plus tard. On découvrira d'ailleurs plus tard en fouillant dans ses affaires qu'il avait une carte de membre d'un parti politique de Droite. 

Marini & Filippi ont également été blessé et ont pris la fuite pour se rendre à l'hôpital. Interrogés, ils déclarent qu'ils n'ont aucune idée de qui a bien pu leur tirer dessus ni pourquoi. Les témoins sur place sont également frappés d'amnésie et ne reconnaissent personne.

Jean-Paul Dary & Fleury Di Nola


Pierre Marini (gauche), Roch Filippi (haut), Mario Parravicini (bas)
                                                             

Parravicini n'est pas la seule victime: Poli a également été sérieusement touché mais a été mis à l'écart discrètement dans une autre salle juste avant que la police n'arrive. Transporté dans une clinique, il succombe à ses blessures quelques heures plus tard. 

Le procès de Jean-Paul Stefani et la fusillade du cimetière de Thiais 

Le procès de Stefani s'ouvre en mars 1936. On n'y apprendre rien, car aucun des témoins présents ce jour là ne vient témoigner.

De toute façon, Stefani a un système de défense imparable qu'invérifiable: ce n'était pas lui qui a tiré ce soir là au "Rat-Mort" mais son frère Etienne!

Madeleine Keusch est quant à elle convaincu que Stefani a tiré délibérément sur son fils car il pensait qu'il était le fils de Foata (ce qui n'était pas le cas).

Sans surprise, Jean-Paul Stefani est acquitté le 21 novembre 1935. Et sans surprise, la vendetta entre Stefani & Foata est loin d'être terminée.

Jean-Paul Stefani lors de son procès

Le lendemain de son acquittement, Stefani se rend au cimetière de Thiais afin de rendre hommage à son épouse décédée d'une tuberculose pendant son incarcération préventive. Il est accompagné pour l'occasion de ses deux belles-soeurs et de son cousin, Dominique Paoleschi.

Foata qui a pris grand soin de ne pas témoigner lors du procès de Stefani a anticipé le fait qu'une des premières chose que son rival ferait est de se rendre sur la tombe de sa défunte femme, attend embusqué derrière une tombe avec un fusil de chasse.

Foata fait feu, manque Stefani qui a eu le temps de plonger, mais atteint Paoleschi en plein ventre. Ironiquement, Paoleschi était en bon terme avec Foata et Marini. Il s'en sort miraculeusement malgré les nombreux impacts de plombs logés dans ses intestins.

Dominique Paoleschi

Foata tente de prendre la fuite quand il est stoppé par 3 employés du cimetière. L'un d'eux se saisi d'une croix en bois et l'assomme.

Interrogé, Foata déclare qu'il n'a fait que se défendre, ce qui n'est pas contredit par au moins un témoin qui déclare avoir vu Stefani dégainer une arme.

Ce qui ne fait pas une grande différence tant la préméditation du geste ne fait guère de doute. Sans surprise, Foata est condamné à 7 ans de travaux forcés lors de son procès en juillet 1937.

Stefani est d'ailleurs proche de récolter une condamnation pour faux témoignage quand il déclare ne pas avoir vu Foata ce jour là.

Ange Foata lors de son procès

Jean-Paul Stefani frappé d'amnésie lors du procès de Foata









A noter qu'un peu avant le procès un incident a eu lieu entre Madeleine Keusch & Stefani. Courant avril, Madeleine Keusch se rend dans un commissariat afin de porter plainte contre Stefani. Selon elle, elle aurait été attaqué par Stefani qui l'aurait frappé à coup de crosse de revolver. Elle aurait réussi à prendre la fuite et à se réfugier dans un bar de la rue Douai.

Logiquement interrogé, Stefani déclare au contraire que c'est Keusch qui l'aurait attaqué alors qu'il se trouvait dans un bar. Keusch aurait été désarmé par le gérant du bar, Pierre Manovelli.

Pour disculper Stefani, le propriétaire du bar qui n'est nul autre que Dante Tortorelli procure aux policier l'arme présumée qu'aurait utilisé Madeleine Keusch.

Difficile de croire la version de Stefani & Tortorelli, surtout que le troisième individu dans cette version, Pierre Manovelli alias "Pierrot le Corse", n'est pas exactement un saint non plus et a à son actif plusieurs condamnations pour coups et blessures et est soupçonné de plusieurs meurtres et tentatives de meurtres... 

Pierre Manovelli

 

La chute du Capitaine des Corses

Bien que craint, Marini n'a jamais été vraiment respecté par ses confrères Corses. Ainsi les affaires Foata/Stefani et du Crystal vont porter un sérieux coup à son prestige déjà fragile.

Il est rapporté qu'à cette période Marini est impliqué dans un trafic d'armes et de matériels pour la guerre civile Espagnole: faux camions blindés, casques fabriqués avec des bidons métalliques, armes peu fiable, etc ... Tout est bon pour gagner quelques Francs et les truands Corses de Montmartre & Marseille (Paul Carbone est dans le coup aussi) s'enrichissent sur le dos des deux camps ...

La chute de Marini va intervenir en 1937, pour une bête histoire d'arnaque à l'assurance. Alors qu'il effectue un déménagement, Marini va organiser le transport de ses meubles et oeuvres d'arts par un déménageur du nom de Eugène Siegel. Marini, qui a souscrit une police d'assurance pour ses biens, charge Siegel de faire exploser son camion afin de toucher la prime. Le plan est parfait pour les deux, surtout que l'entreprise de Siegel connait des difficultés financières.

En partance pour Marseille, le camion fait une halte à Saulieu (Côte-d'Or). Selon 2 camionneurs qui ont assisté à la scène, Siegel était a l'arrêt et semblait étudier l'éclairage du camion quand tout à coup le camion explosa, tuant Siegel. Les gendarmes en examinant le camion trouvent assez étrange que seul l'arrière du camion soit endommagé alors que la cabine où se trouve le réservoir d'essence est quasi intact.

Pierre Marini arrêté (sous la X)

La police va vite comprendre le subterfuge quand en perquisitionnant chez Marini ils vont trouver une lettre écrite à une compagnie d'assurance demandant le remboursement des biens estimés à 250.000 Francs. Surtout que selon deux employés de Siegel ayant vu les meubles quelques jours avant, le montant semble exorbitant. 

A l'issue de l'affaire, Marini est condamné à quelques mois d'emprisonnement.

Après l'affaire du camion de Saulieu, on ne sait pas grand chose de Marini qui semble-t-il s'est retiré des affaires. 

C'est également le cas de Foata qui disparait des radars après sa condamnation pour la fusillade du cimetière de Thiais

La fin de Jean-Paul Stefani

On pourrait penser qu'avec l'incarcération de ses 2 rivaux,  Stefani aurait devant lui une voie royale afin de devenir le roi du crime à Paris. D'autant plus que ces affaires de rackets et de trafics de drogue marchent bien. Il a même une nouvelle maitresse nommée Simone Langelé. Malheureusement pour lui c'est justement ce dernier point qui va causer la perte du caïd Corse...

J-P Stefani & Simone Langelé

Stefani a donc séduit une nouvelle demoiselle. L'inconvénient est que Simone Langelé est en fait une prostituée travaillant pour un mac Parisien, André Marguin, qui quand il n'exploite pas des femmes officie en tant que boucher. 

Or il est une règle non-écrite dans le Milieu qui dit que lorsque l'on prend la prostituée d'un autre mac l'on doit payer une amende, ce que Stefani refuse catégoriquement de faire.

Pire, lorsque Marguin se plaint à Stefani, ce dernier menace de le tuer.

Le soir du 10 août 1937, Marguin se trouve dans un bar de la rue Fontaine quand il voit Stefani l'aborder pour, dit-il, lui proférer de nouvelle menaces. Selon Marguin, Stefani aurait dégainé une arme mais Marguin aurait été plus rapide et aurait abattu le caïd Corse de 4 balles.

Emmené dans à hôpital Lariboisière par un dénommé Jean-Paul Lovichi, Stefani, meure quelques instants plus tard. 

Marguin signe rapidement des aveux et il est établi que Stefani avait bien une arme sur lui et aurait tiré une balle. 

André Marguin (à gauche) lors de son arrestation

En attendant son procès, Marguin est mis en liberté provisoire en novembre 1937.

Le 10 janvier 1938, Antoine "Toinon" Silvestri, qui été précédemment suspecté d'avoir tué Etienne Stefani est pris pour cible alors qu'il se trouvait dans un bar de Marseille. Il s'en tire miraculeusement et ne sera, à ma connaissance, plus visé par la suite. 

André Marguin a en revanche beaucoup moins de chance que Silvestri. Alors qu'il est retiré depuis sa libération dans les environs de Cannes, il est assassiné dans la soirée du 9 juillet 1938 par 2 individus qui s'enfuient en voiture. 11 projectiles ont fait mouche, notamment dans un oeil, le thorax et le ventre. Selon les constations Marguin se serait retrouvé au milieu de feux croisés, ce qui indique clairement une embuscade.

Si le véhicule, volé une dizaine de jours auparavant dans la région Parisienne est retrouvé incendié dans les environs, les deux individus n'ont jamais été formellement identifié. 

La police pense toutefois que l'un d'entre eux est François "le Notaire" Luchinacci et que Marcel "Georges" Stefani, le dernier des frères, a au minimum organisé le meurtre de Marguin.

Marie Paoleschi indique dans son livre "Le Milieu et moi" (page 75), que l'un des tireurs était Paul Vesperini. Selon elle, Vesperini était venu de Sartène pour exécuter le contrat sur Marguin à la demande de Marcel Stefani

François "le Notaire" Luchinacci

 

Lectures indispensables sur le sujet: 

-Marie Paoleschi, Le Milieu et moi (éditions Fanval)

-Grégory Auda, les Bandits Corses (éditions Michalon) 

Les principales sources pour la réalisation de cet article sont les sites d'archives de journaux Retronews & Criminocorpus

Commentaires

  1. J'ai bien connu Ange Foata il est de ma famille vous avez presque tout dit cependant j'ai quelques infos en plus sur sa vie. Si vous voulez je peux les partager avec vous

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    1. Bonjour,

      Merci d'avoir lu l'article ! Il est assez basique et court à comparer des autres car c'était mon tout premier, mais ça fait toujours plaisir de voir un retour positif et de constater que je n'ai pas fais de bourdes dedans.

      En effet je serais ravi de connaître plus d'infos si vous en avez à partager. Vous pouvez les envoyer ici ou sur mon adresse e-mail perso si vous préférez: motorfab@live.fr

      Cordialement

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  2. Article mis à jour et beaucoup plus complet désormais :)

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