Auguste Ricord et la South American Connection

Le 28 août 1972, le trafiquant de drogue Auguste Ricord est extradé du Paraguay vers les Etats-Unis. C'est la fin d'une longue bataille diplomatique et judiciaire entre les deux pays, mais également de la carrière de l'individu qui est soupçonné d'être à la tête d'une filière de drogue qui a fait entrer plus de 5 tonnes d'héroïne pure entre 1965 et 1973 aux USA.

Mais qui est donc ce petit homme chétif âgé de 61 ans au moment de son extradition et dont le BNDD (l'actuelle DEA) et l'administration de Richard Nixon ont fait de son arrestation une priorité ?



Les débuts de Ricord

Auguste-Joseph Ricord est né le 26 avril 1911 à Marseille, d'un père Marseillais, Pierre, et d'une mère Corse, Joséphine Gallese. Par l'intermédiaire de sa mère il a également une demi-soeur, Marie Traversa née le 27 novembre 1902.

Ricord commence très tôt sa carrière criminelle puisque le 24 avril 1927, alors qu'il n'est âgé que de 16 ans, il est condamné à 8 mois pour vol et extorsion, puis le 11 octobre suivant à 6 mois pour violences et port d'armes non-autorisé. Après sa sortie de prison, il aurait gravité dans l'entourage de Paul Carbone & François Spirito. 

Bien qu'il soit impossible de vérifier ses exacts liens avec les 2 seigneurs de la pègre Marseillaise, considérant son âge, il n'était vraisemblablement pas encore un personnage d'importance. Il est toutefois avéré qu'il côtoiera Spirito quelques années plus tard.

Il monte à Paris dans les années 30 et on le retrouve le 4 novembre 1934, où avec plusieurs autres individus il braque un liquoriste. Arrêté quelques temps plus tard avec ses complices, il fournit un faux alibi à la police mais est démasqué à cause de vêtements retrouvés reconnus par la victime, Mme Drujon.

La police fait le rapprochement avec d'autres affaires similaires, dont l'une où le patron agressé a fait fuir ses agresseurs en leur tirant dessus. Les gangsters avaient pris la fuite en tirant sur l'homme, mais fort heureusement sans faire de victimes. Selon la police, Ricord serait le chef de la bande et il est condamné pour cette affaire le 25 octobre 1937 à 4 mois de prison et 25 Francs d'amende. Il récolte un peu plus tard 8 jours de prisons + 16 Francs d'amende pour port d'armes non-autorisé.

Le 15 novembre 1935,, il est soupçonné d'avoir pris part à la fusillade du Crystal dans le camp du caïd Joseph Poli.

Comme la plupart des hommes du Milieu de cette époque, Ricord devient également l'un des patrons du proxénétisme et commence à monter un petit empire.

L'ascension du jeune Marseillais dans le monde de la pègre se passe donc plus ou moins sans encombre jusqu'au début de la Seconde Guerre Mondiale.

Ricord finit les années 30 comme il les avait commencé: le 3 février 1938 il est condamné pour délit de chasse et le 23 janvier 1939 il est condamné encore une fois pour port d'armes non-autorisé !

Ricord fin des années 20/début des années 30


Ricord pendant la Seconde Guerre Mondiale

Quand la guerre éclate en 1939, Ricord fait parti des personnes "dangereuse pour la sécurité de l'état et de la sécurité publique" et est interné avec plusieurs autres "indésirables" dans le camp de Vaujours en Seine-Saint-Denis.

Dans ce camp se trouve également un célèbre caïd de l'époque, Georges Hainnaux. Hainnaux est une grande figure du Milieu spécialisé dans le braquage qui a connu un pic de "popularité" lors de l'affaire Stavisky en 1934, une célèbre affaire d'escroquerie qui a provoqué un scandale en éclaboussant plusieurs personnalités politique Française de l'époque.

Hainnaux souffre de claustrophobie. Ainsi, un soir de décembre, il est frappé par une violente crise et commence à frapper un poêle à chauffage. Alors qu'il commence à être maitrisé par les gardiens, il remarque qu'un jeune homme au petit gabarit, lui lance un regard lui signifiant qu'il aimerait profiter de l'opportunité pour s'échapper. Hainnaux comprend et occupe encore un peu les gardiens tandis que l'individu profite de la confusion pour s'échapper. 

Hainnaux ne connait absolument pas qui il vient d'aider à s'évader et apprend quelques heures plus tard qu'il s'agit d'Auguste Ricord. Après renseignement, il apprend que Ricord était un homme de l'entourage de Paul Carbone & François Spirito. C'est la seule fois que le légendaire gangster croisa le route de Ricord.

Ricord se cache rue Mansart, quand en juin 1940 il est contacté par Alfredo Palmieri. Palmieri est un Italien né en 1838 à Naples qui fait également parti de l'entourage de Carbone & Spirito. C'est un braqueur redoutable ayant commis des méfaits à Prague, Turin, en Autriche, Allemagne ou à Avignon où il a braqué une banque et récolté la modeste somme de 1.600.000 Francs. Et quand il ne commet pas des braquages, Palmeri s'adonne également à l'activité de faussaire. En bref, ce n'est pas un demi-sel [l'équivalent de small fish en Anglais].

Palmieri veut donc recruter Ricord pour une affaire: également arrêté en tant qu'indésirable, il a été relâché et recruté par l'ABWEHR, les services de renseignements Nazi, pour cambrioler une imprimerie à Melun dont le coffre contient des passeports Français vierge. Il ajoute que c'est Spirito qui lui a donné son adresse. Spirito a d'ailleurs comme beaucoup d'autres truands rejoint les rangs de la Gestapo à Marseille afin d'y continuer ses activités de truands en toute impunité.

Alfredo Palmieri
 

Ricord & Palmieri ne vont pas tarder à rejoindre un groupe de truands travaillant pour un bureau de la Gestapo dont le quartier général est situé avenue Foch. Le groupe constitué de Corses et d'Italiens est surnommé "La Bande des Corses" et est composée d'individus tels que Joseph Orsini, Charles Cazauba, Jean Sisco, Joseph Piereschi, Marius Manuelli, Joseph Oberto, François Suzzoni, Luigi Discepolo, Nonce Lucarotti

Le groupe est plutôt spécialisé dans la criminalité "classique" plutôt que dans de pures activités "Gestapistes", notamment l'arnaque au faux policier (basiquement, ils se font passer pour des flics afin de rançonner de pauvres victimes). Durant l'année 1942 le groupe de la "Bande des Corses" est absorbée par la Gestapo du 93 rue Lauriston, la tristement célèbre "Carlingue" dirigée par Henri Lafont. 

Lafont était avant la guerre un petit criminel recruté par l'ABWEHR afin d'y diriger un bureau de la Gestapo en échange de fermer les yeux sur ses activités criminelles. Munit d'un laisser passer fourni par les Nazis, il se rend à la prison de Fresnes et fait libérer un certain nombres de criminels et de flics révoqués afin de constituer une équipe, malheureusement, efficacement redoutable.

Lafont charge Ricord et la "Bande des Corses" de s'occuper des activités d'extorsions et de rackets des bars, restaurants & nightclubs de la capitale. Avec l'argent gagné, Ricord possède un appartement luxueux situé au 50 avenue de Wagram où habitent également ses deux maîtresses, Jeanne Bouillie & Madeleine Delrieu.

Il ouvre aussi un cabaret, "l'Heure-Bleue" situé 54 rue Pigalle, fréquenté par de nombreux truands, membres de la Gestapo et stars du show business de l'époque tel que le chanteur Tino Rossi. En plus de "l'Heure Bleue", Ricord possède également 2 autres nightclubs: "le Florence" & "le Chapiteau". A cette époque, il possède également un autre bar à Saint-Ouen, ainsi qu'un bordel à Roubaix nommé "le Soleil". 

A propos du Cabaret "l'Heure Bleue", l'établissement est dirigé par l'acteur Roger Duchesne, que l'on retrouvera dans le rôle principal du film "Bob le Flambeur" de Jean-Pierre Melville où il y joue un truand de Pigalle.

Profitant d'une quasi totale impunité, Ricord et ses comparses commettent de nombreux délits en parallèle de leurs activités "officielle" dans la Gestapo.

Le 2 août 1943, Ricord, Manuelli, Marius Baccon et 4 personnes non-identifiés se présentent en tant que policiers chez un fromager nommé Paul Rivet. Ils lui volent 403.000 Francs, 250 litres d'essence, 60 litres d'huile de voiture, 10 Louis d'or, 400 Francs en pièces d'argent et une montre de femme en or [source pour ce point précis "M... Comme Milieu" de James Sarazin, page 121]. 

Rivet réalise plus tard qu'il s'est fait arnaquer et porte plainte à la vraie Police. Grâce au numéro de la plaque d'immatriculation identifié par les voisins, les enquêteurs arrivent à déterminer que la voiture appartenait à Ricord. 

Interrogé, Rivet identifie Ricord sur des photos, qui ce jour là se faisait appeler "Manuelo". Mais grâce à ses relations avec l'armée Allemande Ricord et ses acolytes s'en sortent. 

En tout cas pendant la guerre, car Ricord est condamné pour ce crime le 24 octobre 1951 à 20 ans de travaux forcés et 10 ans d'interdiction de séjour. A noter que François Spirito est également identifié parmi les auteurs du vol, mais est définitivement acquitté en 1954 pour manque de preuves.

Un peu plus tard cette même année 1943, Manuelli, Henri Jourdan et Paul Alessandri sont arrêtés pour un cambriolage, dont le montant du butin s'élève a 15 millions de Francs. Là encore les truands s'en sortent grâce à leurs relations, mais Manuelli ne veut pas en rester là. Il tient pour responsable de son arrestation le commissaire Luciani et avec Ricord, il concocte un plan pour éliminer le policier. Heureusement pour le commissaire, le plan vient aux oreilles de Lafont qui ordonne à Ricord et Manuelli d'abandonner.

Marius Manuelli en 1936

A partir de Juillet 1944, c'est la débandade pour les Nazis dans la capitale, et les truands ayant travaillé avec la Gestapo commencent à sentir le vent tourner. Ricord avec sa maîtresse Jeanne, sa demi-soeur, son mari Baptistin Bonsignour et son neveu Louis partent d'abord en Allemagne et rejoignent ensuite brièvement l'Italie. Ils y seront rejoint plus tard par d'autres Gestapistes de la "Bande des Corses" comme Luigi Discepolo, sa femme Carmela Esposito et Alfredo Palmieri. Les autres comme Joseph Orsini & François Spirito partiront plutôt aux USA et au Canada.

En juillet 1950 d'autres condamnations tombent pour Ricord et ses complices. Manuelli, Pierre Belleard, Jacques Lovre sont condamnés respectivement à 15, 12 et 6 ans de travaux forcés, Henri Jourdan à 5 ans d'emprisonnement. Ricord, Alfredo & Michele Palmieri et Paul Alessandri sont eux condamnés à morts par contumace.

Marius Manuelli au contraire de Ricord a choisi de rester en France, et après avoir purgé sa peine a ouvert un restaurant au 82 boulevard Murat appelé "Chez Marius". Bien qu'en apparence retiré des affaires, la police est persuadée qu'il est resté en contact avec Ricord et d'autres pointures du Milieu.

Transition avant l'Amérique-du-Sud

Avant de partir pour l'Argentine Ricord et son entourage s'installent entre-temps à Milan et Gênes tout en effectuant des allers-retours à Paris.

Pendant son incarcération à la prison de Tacumbu, Paraguyay en 1972, Ricord s'est vanté qu'à cette période qu'il avait 100.000$ en poche.

Il existe une rumeur disant que Ricord et 2 de ses acolytes, Jacques Hébert & Jules Ménard, se seraient vu confié par Henri Lafont une part du butin de la Gestapo de la rue Lauriston. Cette théorie est défendu par le journaliste Philippe Aziz dans le hors-série du magazine Historia consacré à la Gestapo [Historia, hors-série numéro 26, La Gestapo en France 1, pages 112 à 115].

Selon Aziz, les 2 complices de Ricord auraient ensuite été assassinés: Ménard aurait été abattu en mars 1948 à New York et Hébert aurait été tué en janvier 1949 dans un nightclub à Mexico.

La théorie est séduisante mais semble relever d'avantage du mythe que de la réalité. Premièrement aucune trace du meurtre de Ménard à New York dans la presse (bonne chance pour trouver des infos sur le supposé meurtre de Hébert). Deuxièmement, pourquoi Lafont aurait confié spécifiquement à Ricord une partie du butin de la "Carlingue" alors qu'il était parti en cavale avec plusieurs de ses proches (Lafont est arrêté le 30 août 1944 et fusillé le 27 décembre de la même année)? 

Auguste Le Breton, romancier et ancien voyou, qui a connu Ricord et l'a côtoyé en Amérique-du-Sud, confirme d'ailleurs dans son livre "Les Pégriots" [pages 526-537] que la rumeur est infondée.

Selon Le Breton, Ricord n'avait pas grand chose en poche à ce moment là. Cela dit, selon le BNDD, Ricord et Maria Bonsignour avaient vendu un de leurs établissements 40.000$ avant de fuir. Il paraît donc plus probable qu'au lieu d'un butin venant de la Gestapo, Ricord ait simplement vendu la plupart de ses biens à la hâte avant de partir.

[Note: Philippe Aziz, ayant écrit LE livre de référence sur "la Carlingue", "Tu Trahira Sans Vergnogne", il n'est ici aucunement question de dénigrer sa bonne foi et ses travaux, mais plutôt de montrer qu'il s'agit ici plutôt de rumeurs que de faits]

Les anciens Gestapistes s'installent donc au nord de l'Italie et vont multiplier les méfaits, tout en restant connectés avec la France. Paul Alessandri aurait été tué à Nice en 1946 durant la vendetta d'Ange Salicetti. Son ancienne maîtresse serait ensuite partie se "consoler" dans les bras de Louis Bonsignour avant de mystérieusement disparaître.

Mais l'air devient mauvais pour les criminels Français: Alfredo Palmieri qui pendant longtemps à exercer en tant que patron d'un bureau de change en toute impunité à Milan est rattrapé par la justice et est fusillé le 22 août 1946. D'autres se font prendre pour braquage et trafic de fausse monnaie. Bonsignour est censé être arrêté mais fuit pour l'Argentine rejoindre sa mère et son oncle.

Entre 1946 et 1947, Ricord, qui se fait appeler Lucien Dargelés et qui prétend être un artiste, multiplie les allers-retours entre l'Italie et l'Amérique-du-Sud et part finalement s'installer à Buenos Aires avec son entourage

Un visa Brésilien utilisé par Ricord en 1946

 

Les fugitifs de Buenos Aires

Pendant une bonne partie du début du 20ème siècle, le Milieu a amassé des fortunes grâce au réseau de prostitution appelé "la traite des blanches" ("White Slavery" en Anglais). 

La comparaison est peu flatteuse, mais le schéma est exactement le même que ce que deviendra la "French Connection": les voyoux Français possédaient un produit demandé, ici les femmes, et l'expédient au 4 coins du monde grâce à leurs réseaux.

L'Argentine et sa capitale Buenos Aires ont d'ailleurs été pendant très longtemps l'un des principaux endroit où se déroulait ce fameux trafic et de nombreux gangsters Français s'y sont installés (un peu plus d'infos sur la traite des blanches et les casitas dans mon article consacré à Antoine La Rocca).

Ricord va donc relancer le système de la traite des blanches, mais également les activités habituelle liées au Milieu qui sont, entre autres, les braquages et l'extorsion. Mais plus important, ayant besoin de main d'oeuvre, il va depuis le El-Sol son auberge situé à Buenos Aires, mettre en place un important réseau recueillant des gangsters en fuite.

Ainsi, outre ses fidèles amis Oberto, Sisco ou Bonsignour, le réseau Ricord va accueillir de nombreux truands en fuite dont parmi les gangsters les plus notables figurent: 

-Dominique Orsini, un Corse condamné aux travaux forcés à vie par contumace pour un braquage. Ce serait d'ailleurs avec lui que Ricord aurait pris la décision de partir pour l'Amérique-du-Sud. Orsini qui là bas se fait appeler "Domingo" fait parti des premiers fidèles de Ricord.

-Antoine Sinibaldi, un Corse originaire comme les célèbres frères Guerini de Calenzana. Sinibaldi, lui aussi membre de la Gestapo pendant la guerre, va connaître un milieu des années 40 compliqué. Il est activement recherché pour avoir fait disparaître 2 de ses anciens complices avec qui il a commit le braquage de la Banque d'Indochine en novembre 1946 à Paris. 1 an plus tard, le 10 novembre 1947, a lieu à Marseille une manifestation de dockers. Des manifestants décident de saccager le cabaret "La Pontinière" appartenant aux frères Guerini. Des coups de feux fusent et un des manifestants, Vincent Voullant est abattu. Ce serait selon des témoins Antoine Guerini & Sinibaldi qui auraient tirés. Bien que blanchi, les choses sont définitivement trop chaudes pour Sinibaldi qui part pour l'Argentine. 

Sinibaldi est le premier homme du réseau Ricord a être arrêté. Alors qu'il est aide-cuisinier dans un hôtel de San Francisco, il est arrêté par le FBI le 20 septembre 1959 alors que Nikita Khrouchtchev est en visite officielle en Californie. Manque de chance, Khrouchtchev doit justement loger dans cet hôtel et Sinibaldi est démasqué à la suite d'un contrôle d'identité. Sinibaldi est extradé vers la France en mai 1960, pour répondre à des accusations de recel (les charges pour meurtres sont abandonnés) et est condamné à 8 ans d'emprisonnement

Antoine Sinibaldi au moment de son arrestation

-André Condemine, un braqueur Lyonnais recherché depuis le 12 décembre 1958 pour le braquage et le meurtre d'un encaisseur du Crédit Commercial de France à Mulhouse. Trois de ses complices sont arrêtés, mais "Ded" est déjà loin et sous les noms de Mario Deniz-Fernandez & André Raymond il est actif entre Buenos Aires, le Brésil et le Venezuela.

-François Chiappe, Corse, recherché depuis le 24 février 1964 pour un double meurtre. Ce jour là, accompagné de 3 complices, il entre dans un restaurant de Montmartre et abat Valentin Laure & Barca Hamid, 2 truands qui voulaient extorquer la patronne d'un bar qui était sous sa protection.

-Christian David & Lucien Sarti ne se connaissent pas encore mais vont tout les 2 commettre un crime similaire dans la soirée du 2 février 1966. Christian David va ce soir là abattre à Paris le commissaire Maurice Galibert, un policier qui enquêtait sur l'enlèvement de l'opposant politique Marocain, Medhi Ben-Barka. Le Milieu n'étant pas étranger dans cet événement, le commissaire Galibert avait quelques questions à poser à David ...

Le même soir à Bruxelles, Lucien Sarti et d'autres individus sont en train de commettre sont un cambriolage et sont surpris par le brigadier Albert de Leener. Sarti abat l'officier, mais ce dernier est blessé. Sur conseil de ses complices, il achève le policier d'une balle dans la tête, et la décision est prise de faire disparaître le corps. Les malfaiteurs prennent la fuite en voiture et mettent le corps dans le coffre de la voiture. La voiture est plus tard incendié pour faire disparaître toute traces. Hélas pour Sarti, ses papiers d'identités sont retrouvé sur place, et malgré le fait que ce soit des faux, il est rapidement identifié par la police Française.

Sinibaldi, Chiappe, Sarti & David, ont le point commun (en plus d'être des meurtriers) d'avoir tous été exfiltrés en direction de l'Amérique-du-Sud par les réseaux des frères Guerini. Rappelons que au contraire de Ricord, les Guerini avaient pendant la guerre choisi le camp de la Résistance.

Lucien Sarti
 

D'autres truands aux profils similaires viendront grossir les rangs de l'organisation Ricord au fur et à mesure des années. C'est le cas d'individus comme Michel Nicoli, Claude Pastou les frères Ange & Nonce Lucarotti ou William Perrin. 

On peut toutefois noter que certains ne fuient pas seulement la police, mais parfois aussi leur propre congénères. C'est le cas de Lucien "Bouboule" Sans, qui va décider de partir pour éviter les foudres des redoutables frères Zemour. Sans a en effet organisé le meurtre des frères Altan qui étaient les mentors des Zemour ...

L'organisation Ricord ne va pas avoir trop de problèmes pendant un bon nombre d'années, à part deux légers accrocs. Le premier à lieu en 1957 quand l'Argentine reçoit une demande d'extradition concernant Ricord. Ce dernier prend la direction de Montevideo, Uruguay avec Oberto & Orsini. Le trio en profite pour ouvrir des bars & restaurants au Venezuela, Paraguay et Brésil.

Le deuxième accroc survient quand Louis Bonsignour tombe amoureux de Jeanne Bouillie, la maîtresse de Ricord... Ce dernier n'est évidemment pas ravi de la situation et les deux tourtereaux prennent la fuite à Caracas, Venezuela. Bonsignour y ouvre un bordel et y fait travailler Jeanne. Comme on peut s'en douter, Jeanne décide au bout d'un moment de claquer la porte et retourne en France. Bonsignour finira par se réconcilier avec son oncle.

Ca tombe bien, Ricord a une nouvelle idée, et Bonsignour va y jouer un rôle central.

Les mains dans la poudre

Ce serait en novembre 1964 que Ricord aurait pris la décision que désormais les expatriés d'Amérique-du-Sud se consacreraient presque exclusivement au trafic de drogue. Il convoque au "Club des anciens combattants" de Buenos Aires une réunion où il y expose ses plans. Y sont entre autre présents: Michel Nicoli, Dominique Orsini, François Chiappe, François Rossi, Luis Calabrese, Bonsignour et Condemine.

Les raisons de Ricord de se lancer dans le trafic de drogue sont assez simple: il attire beaucoup moins l'attention que les braquages, les profits sont énorme, et en plus il a suffisamment de contacts en Europe et en Amérique-du-Sud pour avoir des sources d'approvisionnement. Ricord aurait d'ailleurs effectué à l'époque plusieurs voyages entre l'Argentine, le Chili, l'Uruguay, le Paraguay et l'Espagne pour préparer le terrain.

En revanche, bien qu'il en soit l'instigateur Ricord, n'est pas à proprement parlé le chef de l'organisation mais plutôt une sorte de coordinateur. Ses deux principaux lieutenants sont Jean-Paul Angeletti & François Chiappe qui dirigent les affaire de drogue pour lui. Trois autres équipes se forment. Celle de Louis Bongignour & Domingo Orsini, celle de André Condemine qui est épaulé par René Santamaria & Joannes Munoz, deux truands originaire respectivement de Marseille & Saint-Etienne, et enfin celle de François "Marcello" Rossi.

Afin de gagner des capitaux pour acheter de l'héroïne, Bonsignour a un plan. Il a dans ses connaissances un Argentin nommé Alfredo Mazza qui vient de sortir de prison pour avoir commis un braquage. Mazza a connu en prison un ancien colonel de l'armée Bolivienne nommé Luis Gomez Aguilera. Aguilera peut leur procurer de la cocaïne brute en provenance de Santa Cruz à 1200 dollars le kilos. Il suffit ensuite de la faire raffiner en France, pour ensuite la vendre aux USA. 

Note concernant Aguilera, il a été tué quelques temps plus tard en 1966 lors de l'explosion de son laboratoire de raffinage d'héroïne. Selon Claude Pastou, la police recherche un dénommé Raymond qui se trouvait avec Aguilera et qui aurait été blessé lors de l'explosion. Pastou semble penser que "Raymond" est en fait André Condemine et qu'il aurait fait disparaître Aguilera

Michel Nicoli va effectuer plusieurs voyages entre l'Argentine, la Bolivie et la France et vendre ainsi l'équivalent de 25.000 dollars cocaïne à Etienne Carrara, un Marseillais travaillant pour les frères Guerini.

Ricord fait également appel à un dénommé Nicolaï Ajachinskiy et un individu non identifié, "Pico Cobo", pour leur fournir de faux passeports. Très peu d'infos sur Nicolaï Ajachinskiy, à part qu'il est né le 9 mai 1924 à Odessa (Ukraine) qu'il a été naturalisé Argentin et qu'officiellement il est commerçant (ça sonne mieux que faussaire).

Nicolaï Ajachinskiy
 

Mais c'est réellement quand Christian David & Lucien Sarti vont débarquer en Argentine que la "South American Connection" va vraiment démarrer. 

Si David débute dans un premier temps modestement en tant que garde du corps de Ricord, Sarti va diriger ce qui va sans doute être la plus grosse des 5 équipes. Arrivé à l'été 1966, il lui est rapidement présenté par Nicoli celui qui va devenir son principal lieutenant, Francesco "Chichi Bello" Toscanino. Ce dernier est un Napolitain à rejoint depuis peu l'Argentine car il est recherché pour avoir abattu le meurtrier de son père. 

Felice Bonetti, un autre Napolitain, devient l'autre principal lieutenant de Sarti. Sarti et ses acolytes bénéficient de l'aide de Nicoli & Rossi qui leurs présentent leurs relations en Espagne. Sarti y envoi ses amis Marseillais Roger Bognani & Sauveur Pironti régler les transactions.

Bonsignour et les hommes d'affaires

La première grosse affaire qui va mettre la filière Ricord dans le viseur des autorités survient le 22 mars 1967 quand des agents du Bureau of Narcotics saisissent à l'aéroport JFK de New York 5 kilos de drogue caché dans des oscilloscopes (de la taille d'un transistor radio, l'oscilloscope est un instrument de mesure destiné à visualiser un signal électrique. Pour vous faire une idée, voir la photo en fin de l'article).

Paul Chastagnier est un homme d'affaire véreux qui cherche rapidement à se faire de l'argent. Chastagnier et un autre homme d'affaire Philippe Chaboche, décident de se lancer dans le trafic d'héroïne afin d'arrondir leurs fins de mois. Chastagnier connaît d'ailleurs quelques figures du Milieu car il loge à l'Unic Hôtel, hôtel où le caïd Georges Bouchseiche et sa femme ont des parts.

Chaboche à d'abord  l'idée de dissimuler la drogue dans des cardiotests car, l'appareil servant également à des fins médicales, personne n'aurait l'idée de les démonter pour y voir le contenu. L'idée du cardiotest est abandonnée mais un autre ami du duo, Paul Lacour, lui aussi homme d'affaire a l'idée des oscilloscopes.

Le plan des "hommes d'affaires" va s'accélérer quand Chastagnier, qui revient d'un voyage à New York pour tenter en vain de convaincre une de ses connaissances d'entrer dans l'affaire, va rencontrer Louis Bonsignour qui est de passage à Paris. Ce dernier qui depuis ses démêlés avec la justice en Amérique-du-Sud se fait appeler Philippe Spadaro est intéressé par la proposition  de Chastagnier et lui propose de lui fournir la drogue grâce à ses sources et dispose de clients à New York.

Louis Bonsignour alias Philippe Spadaro

Lacour charge Jacques Courbet, un ingénieur travaillant pour une de ses sociétés, de transformer les oscilloscopes, tandis que Chaboche s'occupe de commander les oscilloscopes auprès d'un fabriquant. Courbet n'a aucune idée qu'il est impliqué dans un trafic de drogue, pas plus que George Varsa, la connaissance que Chastagnier a rencontré à NY. Ce dernier est originaire d'Europe-de-l'Est et est un ancien partenaire en affaire de Chastagnier. Le duo gérait un restaurant en Equateur avant que leurs affaire ne périclitent. 

Si Varsa n'est pas intéressé pour entrer dans cette affaire plutôt louche, il n'est en revanche pas contre de lui rendre service et de venir chercher les colis à leurs arrivée aux USA. Sauf qu'en décembre 1966 lors d'une rencontre avec Chastagnier, Spadaro et un Cubain nommé Enrique Mateos, Chastagnier avouent à Varsa qu'il viennent de recevoir 10 kilos d'héroïne.

Ce que le groupe ignore, c'est que depuis le mois de mai 1966, le Bureau des Narcotiques est au courant de la combine des oscilloscopes à la suite d'un tuyau donné par un informateur. L'informateur a donné le nom de Chastagnier ainsi que le nom de la source en héroïne. Il s'agirait de Paul Mondoloni, l'un des plus gros trafiquant de drogue de l'époque.

Après plusieurs mois d'enquêtes les polices Américaines et Française estiment qu'elles ont assez d'éléments pour arrêter l'ensemble de la filière. Après la saisie du 22 mars, la police arrête à Paris Chastagnier, Chaboche, Courbet, Lacourt & Bernard Chabozzi, un tailleur également impliqué dans l'affaire. 

Varsa est supposé être arrêté en même temps que les autres, mais l'Agence France Presse a eu l'information avant les arrestations et à la mauvaise idée d'appeler Vasta à son bureau pour lui demander ce qu'il pense de l'arrestation de son ami Chastagnier. Fort heureusement il est tout de même interpellé par la police plus tard dans la journée.

Vasta coopère rapidement avec la police et balance tout ce qu'il sait. Il donne notamment les noms de celui qu'il connait en tant que Spadaro (mais qui est maintenant connu de la police par son vrai nom et de son lien familial avec Ricord), Albert Larrain-Maestre (un des complices de Bonsignour) & Luis Calabrese.

Larrain-Maestre qui est arrêté en décembre 1967 en Espagne n'est pas non plus un vrai "dur" et va donner aux policiers des renseignements très intéressants. Il leur explique notamment qu'il travaille pour vaste réseau de trafiquants de drogue basé à Buenos Aires et que celui-ci est dirigé par des Corses et des Latino-Américains. 

Il donne aussi des noms, incomplets, tels que "Domingo", "Michel", "Raymundo", "Marcello" & "Beto". Il précise aussi que les réseau sont dirigés par un certain "Monsieur André". Ces noms ne disent rien aux policiers Espagnols qui au cas où les transmettent aux autorités Américaines. Il s'agit très vraisemblablement de Orsini, Nicoli, Condemine, Rossi, Sarti (?) & Ricord ("Raymond" & "André" sont des pseudonymes utilisés par Condemine & Ricord) [source pour ce point précis "L'intouchable" de Evert Clark & Nicholas Horrock page 62].

Pendant ce temps là, Bonsignour se fait arrêter par la police Américaine au mois de mai et est incarcéré. Mais libéré sous caution à la suite de l'abaissement de celle-ci, il en profite pour regagner en douce l'Argentine. Le bienfaiteur qui a payé sa caution s'appelle Jack Grosby, un Argentin naturalisé Américain dont il a fait la connaissance quelques années avant. C'est la femme de Bonsignour, Susan, qui est rentré en contact avec lui pour rendre ce service.

Quelques déconvenues

Si pendant plusieurs années la plupart des transactions vont se dérouler sans problèmes majeurs, il va toutefois arriver que certains chargements se fassent intercepter et ainsi mettre dans le viseur des autorités Ricord et le "Grupo Frances".

Les frères Ange & Nonce Lucarotti sont deux redoutables braqueurs. Ils sont d'ailleurs les neveux de Joseph Orsini, l'ami de Ricord, et Nonce aurait gravité dans la Gestapo au sein de la "Bande des Corses". 

En 1963 ils sont condamnés à la prison à perpétuité pour un braquage commis à Lyon. Le 20 janvier 1964, les Lucarotti accompagnés de Albert Bergamelli et Armand Charpentier s'évadent de la prison de Melun. 

Après une fusillade avec la police, Nonce est touché, mais les 4 individus parviennent à fuir. La police pense que Nonce est mortellement touché, mais il n'en est rien et avec son frère, ils partent se réfugier au Brésil. Charpentier, part lui aussi en direction de l'Amérique-du-Sud en direction de l'Argentine. 

Arrêté pour un vol à Buenos Aires en 1965, il est extradé en France dans la foulée. Quant à Bergamelli il part en Italie où il fonde le "Clan dei Marsigliesi". Bergamelli fera d'ailleurs vite la une de la presse Italienne pour avoir organisé en mai 1964 le spectaculaire braquage de la bijouterie Colombo à Milan (bien que non poursuivis dans cette affaire, il est possible que Charpentier et les frères Lucarotti aient  également participé à ce braquage avant de partir pour l'Amérique-du-Sud).

Les frères Lucarotti ne vont eux aussi pas trop tarder à faire la une de la presse. Le 21 décembre 1965, les Fédéraux arrêtent Herman Conder, à Colombus, Géorgie. Ce dernier venait de recevoir un réfrigérateur venant de France contenant 95 kilos d'héroïne. Trois autres individus sont arrêtés dans la foulée à New York. Il s'agit de Jean le France (dont le vrai nom est Louis Douheret), Jean Nebbia et d'un individu se prétendant Brésilien et s''appeler Francisco de Almeida. Ce dernier n'est autre que Nonce Lucarotti qui est démasqué et identifié par la police Américaine avec l'aide de leurs homologues Français. La police avait en effet trouvé pour le moins étrange qu'un individu se prétendant Brésilien ne parle ni Portugais ni Espagnol.

La police arrive également à remonter toute la filière. Du côté de la France les organisateurs sont Achille Cecchini & Victor Mertz et le client Américain, est Frank Dioguardi, un membre de la Famille Lucchese. 

Douheret & Nebbia ont été repérés quelques semaines avant à l'Hôtel Waldorf Astoria de NY avec Dioguardi et un de ses complices, Anthony Sutera. Le groupe est notamment suspecté d'avoir fait transiter 100 kilos d'héroïne par mois en direction des Etats-Unis. Tous seront condamnés (sauf Mertz) et Lucarotti est extradé vers la en France en 1971. 

Il n'est pas très clair de l'implication de Ricord dans cette affaire, mais Nebbia et Lucarotti ont déclaré que les caïds Paul Mondolini & Marcel Francisci l'étaient. De plus Lucarotti a fréquenté Ricord à l'époque de la Gestapo, donc le fait qu'il ait choisi de partir pour l'Amérique-du-Sud et qu'il ait été impliqué dans une affaire de drogue n'est probablement pas totalement dû au hasard.

Mauvaise période pour les frères Lucarotti car quelques mois après l'arrestation de Nonce, c'est au tour de Ange d'être arrêté. Le 6 mai 1967 Ange est en effet arrêté par les douanes Américaine à l'aéroport JFK de New York alors qu'il venait d'un vol provenant de Paris. Ce qui a alerté les douaniers est que l'individu qui a un passeport Belge au nom de André Pontet était raide dans ses mouvements. Et pour cause, il avait sur lui attaché une ceinture scotché avec 3 kilos d'héroïne.

La vraie identité de Lucarotti est rapidement établie et il est envoyé en détention. La police découvrira plus tard que Joannes Munoz était sur le même vol et que ce dernier devait remettre la marchandise à un acheteur nommé Osvaldo Alfonso. L'expédition a été organisé par Condemine & Domingo Orsini qui avaient déjà organisé plusieurs transactions avant celle-cil. Quant à la drogue elle avait été fournie par Joseph Orsini depuis l'Espagne.

A la suite de ce contre-temps, Condemine décide de bouger ses opérations en Espagne pour être plus près de sa source d'approvisionnement. 

Après avoir purgé 6 ans de prison au pénitencier d'Atlanta (son frère y est d'ailleurs lui aussi incarcéré ainsi qu'un bon nombre de truands Français arrêtés pour trafic de drogue), Ange est extradé vers la France en 1973 pour purger sa peine à perpétuité. Il est libéré en 1985 à l'âge de 71 ans. 

On pourrait penser qu'à cet âge là, il prendrait une retraite paisible. Mais ce n'est pas le genre de Lucarotti puisqu'il est arrêté en 1993 dans la région de Toulouse, soupçonné d'avoir participé à une vingtaine de braquages dans la région. Condamné à 2 ans, il décède un peu plus tard dans le courant de l'année 1994 à l'âge de 80 ans.

Nonce & Ange Lucarotti

Toujours en 1967, c'est cette fois un coup aux opérations de Sarti qui est porté. François Chiappe envoie en France Michel Russo, un Napolitain, afin qu'il récupère auprès de l'un de ses neveux un chargement de drogue à envoyer pour Michel Nicoli. A la recherche de passeurs, il rencontre sur place Francesco Toscanino qui est de passage en France, et qui a la solution. Il propose de lui fournir trois passeurs, des Italiens habitants à Buenos Aires, qui au lieu de passer par Miami, passeront par l'aéroport de Montréal, où la douane est censé être moins vigilante.

Problème, on ne sait trop comment, mais la GRC et la douane Américaine ont eu vent de l'opération et ces derniers préviennent les homologues de la douane Canadienne. Ainsi, le 12 décembre un dénommé Vincenzo Caputo est arrêté avec 6 kilos d'héroïne caché dans le double fond d'une valise à sa déscente d'un avion en provenance de la France. 

Et ce n'est rien à comparer de ce qui arrive par la suite puisque le lendemain ce n'est pas moins 5 individus qui sont interpellés. Giuseppe Quatana en possession de 10 kilos, Andrea Settembre avec 4 kilos, Giuseppe Sarago avec 10 kilos (détail amusant, Sarago est un ancien policier), Gennaro Siniscalchi avec 6 kilos et enfin Carmine Russo (frère de Michel) avec 4 kilos. Tous ont été arrêtés à l'aéroport à l'exception de Russo qui avait échappé temporairement aux arrestations et qui s'était réfugié à hôtel Reine-Elizabeth. 

Et tous sont des Italo-Argentins recrutés par Toscanino.

Au final c'est 50 kilos pour une valeur marchande de 35 à 50 millions dollars qui sont saisis, ce qui représente à l'époque la saisie record de drogue à Montréal. Dans les jours qui suivent trois autres personnes sont arrêtées à la gare Grand General Station de New York, à Boston et à la frontière Americano-Canadienne. Lors de la surveillance de la Grand General Station, les agents des stups avaient pris des photos des "personnes suspectes" se trouvant sur place. Après analyse des photos, Lucien Sarti est reconnu parmi eux.

Le Grupo Francés s'éparpille

Ces différentes affaires impliquant des narcotrafiquants en provenance d'Argentine vont définitivement mettre le "Grupo Francés" dans le viseur des autorités locale qui commencent à voir d'un mauvais oeil toutes ces activités.

Les Français qui ont bien compris que le vent est en train de tourner en leur défaveur ont commencé à bouger leurs activités ailleurs. 

Bien qu'il a encore un pied en Argentine à ce moment là, Ricord a commencé plier bagages pour Asuncion, la capitale du Paraguay, et a ouvert l'auberge-restaurant, le "Paris Niza". Ricord y fait construire une imitation de la Tour Eiffel, et c'est d'ailleurs à cette occasion qu'il gagnera le surnom de "El Commandante". 

En effet, lors d'une visite d'Auguste Le Breton à Ricord, le romancier s'amuse de Ricord qui est en train de crier sur les ouvriers qui sont en train de construire l'édifice ... [Auguste Le Breton, Le Pégriots, page 526]

Le Paris Nizza

Le choix du Paraguay n'est pas tout à fait dû au hasard, car le pays a à l'époque la réputation d'avoir basiquement battit son économie sur la contrebande, bien aidé il est vrai par le régime militaire et corrompu du président Alfredo Stroessner. 

Cela fait d'ailleurs plusieurs mois que "el Commandante" a noué des liens avec les contrabandistas locaux qui lui permettront d'acheminer des cargaisons de drogue aux commandes de leurs avions de tourisme Cesna. Il est aidé dans sa tâche par Christian David, qui en plus de ses activités avec Ricord semble être à l'époque impliqué avec des mercenaires locaux dans des activités "subversives".

Les choses en Argentine vont définitivement chauffées pour les Français quand au début de l'année 1969 un braquage à lieu dans une banque de Buenos Aires. 

Selon au moins 1 témoin, l'un des assaillants parlait Français. Il n'en fallait pas plus pour les autorités Argentines pour agir, et au mois de mai, François Chiappe, Domingo Orsini & Lucien Sarti sont arrêtés au El Sol lors d'une fête pour le 48eme anniversaire de Chiappe. Sarti prend 1 an de prison et c'est Toscanino & Bonetti qui sont en charge de la filière en attendant la libération de Sarti. 

Sarti est d'ailleurs censé être extradé vers la Belgique après sa peine de prison, mais il s'échappe de prison dans de mystérieuses circonstances et la filière Sarti commence à se rapprocher à ce moment là de Carlo "il Barone" Zippo, un mafieux Napolitain vivant au Mexique et proche de Tommaso Buscetta.

Pendant ce temps là Nicoli qui a déjà eu auparavant des ennuis avec la justice aux USA et en Argentine pour des histoires de faux papiers, préfère s'installer à Rio de Janeiro. Il en va de même pour François "Marcello" Rossi qui dirige une des filières du Grupo Francés.

Evidemment, malgré ces problèmes avec la justice en Argentine, le trafic de drogue n'est en rien stoppé bien au contraire. A la même période, Jack Grosby le bienfaiteur pour la caution de Bonsignour s'est également lancé dans le trafic de d'héroïne. Il est même impliqué un peu avant ça car en 1968 il avait été inculpé pour ce motif et s'était échappé après qu'un ami à lui, Luis Stepenberg, ait payé sa caution de 60.000$

Stepenberg, lui aussi Américano-Argentin, met au point avec Grosby un nouveau pipeline censé être supervisé par Louis Bonsignour qui est en cavale depuis l'affaire des "hommes d'affaires". Mais Bonsignour se fait arrêter au courant de l'année 1969 en France, et c'est Christian David qui récupère la filière et chapeaute l'opération.

David rencontre Grosby dans un casino de Montevideo pour lui expliquer son plan: Grosby doit trouver un acheteur tandis que lui doit faire acheminer la cargaison venue de Marseille, 50 à 60 kilos par voyage. Grosby qui a des relations dans les milieux banquaires doit juste envoyer l'argent dans des banque à Genève. 

Lors d'une autre rencontre dans un musée de Rio, David accompagné de William Perrin, explique à Grosby que la drogue est acheminé par avion en direction de Miami graçe a des intérêts qu'ils ont dans une compagnie aérienne. La drogue est ensuite la direction de New York grâce à des passeurs voyageant dans des bus Greyhound.

Le duo Grosby/Stepenberg va ainsi envoyer l'équivalent de 272 kilos d'héroïne entre juin 1969 et février 1970.

Mais à la suite de l'arrestation d'un passeur Grosby & Stepenberg sont repérés et arrêtés le 24 août 1970. Stepenberg est arrêté à Nice et Grosby à Genève. Edoardo Poeta, un employé du commerce de Stepenberg, est arrêté 3 jours plus tard en Espagne.

Poeta malgré un rôle assez mineur est condamné à 40 ans. Forcément très frustré, ce dernier décide collaborer pour bénéficier d'une réduction de peine. Il en va de même pour Grosby qui décide lui aussi de collaborer avec la police. 

Quant à Steppenberg, il n'aura pas le temps d'être jugé et décède d'une crise cardiaque dans l'infirmerie de la prison fédérale de New York.

Les témoignage de Grosby, Poeta qui viennent basiquement de dire tout ce qu'il sait des filières Sud-Américaine et Française, plus celui de Larrain-Mestre et de quelques autres commencent clairement à donner aux BNDD un schéma clair de ce que sont les réseaux de Ricord et du Grupo Francés et ils sont désormais plus que jamais une priorité pour les agents.

Jack Grosby

L'affaire Delouette

Le 5 avril 1971, les douanes Américaines mettent la main à Port-Elizabeth, New Jersey sur un mini-bus Volkswagen en provenance de France contenant 44 kilos d'héroïne. 15 sacs contenant la drogue sont ainsi découvert le plancher du véhicule par Lynn Pelletier, une jeune agent des douanes embauchée une semaine auparavant âgée de 22 ans. Valeur marchande du produit sur le marché, 12 millions de dollars. C'est à l'époque la plus grosse saisie de drogue dans le New Jersey.

Le propriétaire du véhicule est identifié et arrêté 2 jours plus tard. Il s'agit de Roger Delouette, un citoyen Français de Paris. Mais pas n'importe quel citoyen puisque Roger Delouette est, dit-il, un agent du SDECE, les services de renseignements Français et qu'il agit en service commandé pour son supérieur hiérarchique le Colonel Fournier. 

Alors que la France et les USA viennent tout juste de signer un traité pour lutter conjointement contre le trafic de drogue qui pollue les USA, on peut comprendre l'émoi diplomatique provoqué par les déclarations de Delouette.

Après plusieurs mois de luttes diplomatiques et de rebondissements (comme par exemple le procureur du New Jersey somme la France d'extrader Fournier pour qu'il vienne s'expliquer, ce qui bien sûr n'arrivera jamais) où l'on frôle à de nombreuses reprises l'incident, il est finalement établi que si Delouette a bien travaillé auparavant pour les services de renseignements Français (enfin tout est relatif, Delouette n'était pas vraiment James Bond) il en a été licencié il y a quelques mois à la suite d'une purge au sein des services. 

En effe, à la suite de nombreuses bavure de la part du service, le Président Pompidou a ordonné une réorganisation du SDECE et a nommé un nouveau chef, Alexandre de Marenches. De Marenches est d'ailleurs persuadé qu'il s'âgit d'une manoeuvre de services extérieurs (les Américains ?) afin de le déstabiliser, mais ceci est un autre débat. 

Donc au plus grand malheurs des théoriciens du complot et de la presse à sensation, il ne s'agit ici ni plus ni moins que d'une simple affaire de trafic de drogue. Et vous l'aurez compris, le Grupo Francés est derrière l'affaire.

Delouette, un peu revanchard d'avoir été renvoyé du SDECE et en manque d'argent, a été recruté par Dominique Mariani, un Marseillais en relation avec la Latino Connection. C'est Christian David qui avait "passé commande" auprès des Marseillais pour un envoi de drogue qui devait être remis à Claude Pastou pour être ensuite revendu à Carlo Zippo. Delouette avait été mis en contact avec Mariani par Richard Berdin, un autre intermédiaire de la "French Connection".

L'affaire dans son ensemble ne sera révélée qu'un an après lorsque Berdin puis Pastou deviendront informateurs, mais entretemps le mensonge de Delouette a été découvert. 

Il plaide coupable et est condamné à 5 ans de prison. Il est libéré en 1974 et est censé répondre de ses accusations devant la justice Française mais ne se présente pas au tribunal censé le juger en 1978, et il est condamné à dix ans d'emprisonnement, cinq ans d'interdiction de séjour, de 12 millions de francs d'amende fiscale pour trafic de stupéfiants, ainsi qu'à quatre années d'emprisonnement pour recel de fausses valeurs (17.800$ en fausse monnaie avaient été retrouvés chez sa conjointe lors d'une perquisition).

Roger Delouette

 

La chute de Ricord et des Contrabandistas

Le début de la fin pour Aguste Ricord va survenir le 25 octobre 1970 quand les douanes de Miami trouvent dans un avion 42.5 kilos d'héroïne pure à 91% cachée dans des paquets de cadeaux de Noël. 

L'avion piloté par le contrebandier Paraguayen Cesar Bianchi et son co-pilote Renato Balestra est en effet sous haute surveillance du BNDD et des douanes. Ces derniers ont reçu une lettre anonyme d'un mystérieux "Contrabandista" qui tout les détails de l'organisation de Ricord, en détaillant noms, transactions et autres choses suffisamment compromettantes pour mettre les autoritées sur les dents afin de coincer définitivement Ricord (à noter que le mysérieux informateur décèdera quelques temps après dans un non moins mysérieux accident d'avion).

Bianchi & Balestra craquent assez vite et décident de coopérer avec la police. Si Bianchi est un contrabandier, il n'a en revanche jamais été très à l'aise à transporter de la drogue quant à Balstra il n'avait aucune idée de ce que transportait l'avion.

Sous la supervision des policiers, Bianchi & Balestra continuent selon le plan initial. Ils rejoignent dans un hôtel de Miami un de leur complice Paraguayen nommé Felix Rogelio Becker qui leur dit de se rendre en voiture à New York afin de rencontrer Pierre Gahou au Sheraton Hotel. 

Becker leur explique qu'il les verra à New York avec un autre complice nommé Juan de Dioz Rodriguez-Benitoz aka Aron Muravnik. Pierre Gahou, serveur au Paris Nizza et homme de confiance de Ricord, est censé délivrer la drogue à l'acheteur, un dénommé Nicholas Giannatasio, ex footballeur Argentin et surtout associé de Yolanda Sarmiento, une trafiquante de drogue Chilienne accointé avec André Condemine & François Chiappe.

Tout les protagonistes sont sous étroites surveillances et se rencontrent le 27 octobre au San Regis Hotel. Muravnik est accompagné par Enio Anibal Varela Segovia, un financier de l'organisation Ricord, que ce dernier déteste cordialement. La police préfère intervienir dans la foulée et arrête Muravnik, Varela, Becker et Gahou. Giannatasio échappe temporairement à son arrestation mais il est finalement arrêté en février 1971.

Quelques mois plus tard Varela, Muravnik et 5 autres prisonniers s'échappent de la prison fédérale de New York à l'aide d'une scie qui leur a été faite passée afin de scier leurs barreaux ...

Enio Anibal Varela Segovia

Le 15 mars 1971, un jury fédéral inculpe Ricord pour avoir fait entrer sur le territoire Américain de larges quantitées de drogue. Frank Mancini, agent du BNDD au Paraguay obitent à sa grande surprise le feu vert des autoritées Paraguayenne pour interpeller Ricord.

Les enquêteurs recoivent le tuyau d'un informateur que Ricord se trouve au Paris Nizza. Dans la soirée du 25 mars la police investit le restaurant afin de l'interpeller. Ils y voient dans le hall du motel un homme chétif qui leur dit que Ricord se trouve dans un bungalow. Alors qu'ils se dirigent vers le bungalow indiqué, les policiers voient le petit homme démarrer une voiture en trombe pour se diriger vers la sortie. Ils réalisent vite qu'il s'agissait de Ricord déguisé avec une perruque ... 

Fort heureusement Ricord est arrêté quelques minutes plus tard alors qu'il se dirigeait en direction de la frontière avec l'Argentine. Au moment où il est arrêté, Ricord était en train de payer un pilote de bateau pour qu'il lui fasse traverser le lac Rio en direction de l'Argentine.

En attendant d'être fixé sur son sort Ricord est incarcéré à la prison de Tacumbu, mais si le Paraguay a accepté son arrestation il est en revanche beaucoup plus réticent pour l'extrader. Il est sérieusement envisagé par les Américains d'exfiltrer (pour ne pas dire kidnapper) discrétement Ricord, mais l'idée est abandonnée et il est décidé de passer par les voies légales. 

Après un peu plus d'un an de batailles juridiques et après que la défense ait usée de tout les recours possible, Auguste Ricord est finalement extradé en direction des USA le 2 septembre 1972 afin d'y être jugé.

Auguste Ricord extradé du Paraguay le 2 septembre 1972
 

Le procès de Ricord s'ouvre le 5 décembre 1972. Le premier témoin d'importance à témoigner est Cesar Bianchi. Ce dernier a d'ailleurs été menacé de mort par Christian David qui entre temps a été arrêté au Brésil (nous y reviendrons). 

Bianchi explique qu'après avoir été approché par Muravnik et Varela il a accepté à trois reprises d'effectuer des voyages en direction des Etats Unis. Le premier voyage était en juin 1970 avec 60 kilos d'héroïne, le deuxième en août avec 30 kilos et enfin le troisième est celui d'octobre qui a provoqué l'arrestations des accusés avec les 42 kilos.

Bianchi enfonce encore un peu plus Ricord quand il explique qu'à au moins une occasion il s'est rendu au Paris Nizza et qu'il a vu Ricord remettre directement à Varela 3 valises remplies d'héroïne. Il explique également qu'après ils se sont rendu au ranch du Général Coleman, un ami de Ricord, et plus important un ami du président Alfredo Stroessner.

Quelques jours plus tard, même son de cloche pour Felix Becker & Pierre Gahou qui témoignent contre Ricord après avoir plaidés coupable. 

En plus de corroborer les propos de Bianchi avec les différents voyages entre le Paraguay, Miami et New York, Gahou raconte également que Ricord l'a envoyé à Montevideo afin de réceptionner une voiture amenée et remplie d'héroïne par Jean Lucchesi, un truand bien connu de Marseille fortement connecté aux caïds Jean-Baptiste Croce & Gaëtan Zampa ...

le pilote contrebandier Cesar Bianchi

Inutile de préciser que quand c'est au tour de Ricord de passer à la barre, son image de gentil "pépé" diabétique est largement écornée et ne trompe personne, même si il jure que tout ceci n'est au fond qu'une machination et qu'il est innocent. Il déclare même ne pas se souvenir avoir été pourchassé par la police le 25 mars 1971.

Auguste Ricord est reconnu coupable de tout les chefs d'accusations portés contre lui et est condamné le 29 janvier 1973 à 20 ans de prisons. 

Au moment où Ricord est condamné, plusieurs autres des filières qu'il a mis en place viennent d'être démantelées, mais d'autres sont encore active.

La fin de la filière Sarti

Le début des ennuis judiciaires de Ricord marque la fin de la "South American Connection" et les autoritées Américaines et Sud-Américaine sont bien décidée à mettre fin aux agissement des trafiquants Français. Les premiers à en faire les frais sont Lucien Sarti et ses complices puisque ses derniers sont arrêtés le 4 octobre 1972 à Sao Paolo

Sarti qui est maintenant actif entre l'Uruguay, la Bolivie, le Brésil et le Mexique, souhaite désormais s'installer dans ce dernier pays afin de se rapprocher le plus possible de la frontière avec les USA pour écouler plus facilement ses cargaisons de drogue. C'est vers 1971 que Sarti va se rapprocher de Carlo Zippo et de Tommaso Buscetta.

Buscetta & Zippo qui vivent aux Mexique ont depuis un moment les mains dans la drogue entre le Mexique, Montréal et New York  et sont en cheville avec plusieurs trafiquant notoires locaux comme Jorge Asaf y Bala et Giuseppe "Pino" Catania. 

Zippo est d'ailleurs Napolitain, tout comme les 2 lieutenants de Sarti, Bonetti & Toscanino et exerce officiellement le métier de vendeur de montres. Coïncidence ou non, en octobre 1971, Felice Bonetti est arrêté en Californie pour avoir tenté de refourguer des montres de luxe contrefaites. 

Zippo a également des parts dans la Eagle Cheese Company de NY dont les propriétaires sont Antonino Napoli et Filippo & Franco Casamento, futurs poids lourds de la Pizza Connection.

Carlo Zippo

A la suite de l'arrestation de Sao Paolo, plusieurs informateurs entrent en scène (principalement Pastou, Nicoli et Catania) et expliquent qu'une série de rencontres ont lieu à l'hôtel Copacacabana Palace de Rio de Janeiro entre Buscetta, Zippo, Lucien Sarti & Michel Nicoli. 

Ils expliquent qu'entre octobre 1971 et juillet 1972, les Français ont livré 170 kilos d'héroïne à destination de New York. A chaque fois le schéma est le même: la drogue cachée dans une voiture est envoyé depuis Marseille en direction de l'Italie (le plus souvent Milan), part pour bateau ou avion en direction de l'ïle de San Sebastiao au large de Sao Paolo pour être ensuite acheminé à l'Eagle Cheese Company.

Pendant ce temps là Sarti a de gros problèmes à la suite de l'arrestation de deux de ses complices, Housep Caramian & Renzo Rogaï. Il est arrêté à La Paz avec sa maîtresse, le top model Brésilien Helena Ferreira ainsi qu'avec Jean-Paul Angeletti (pour l'anecdote Angeletti est au moment de son arrestation en pleine action et en galante compagnie avec quelqu'un qui n'est pas sa femme).

Alors qu'ils sont censés être extradé vers les USA, Sarti, Angeletti et leurs femmes (légitimes cette fois) prennent la direction de Mexico City. 

Mais à la suite de tuyaux anonymes, la police locale prend connaissance de la présence des trafiquant Français et dans la soirée du 27 avril 1972 la police monte une souricière afin les d'interpeller. Vers 21h, alors qu'ils quittent leurs domicile en voiture avec leurs femmes, la police décide d'intervenir mais Sarti repère les policiers et s'en suit une fusillade où Sarti est abattu.

Pendant ce temps là, Helena Ferreira est expulsé de Bolivie en direction du Brésil et raconte tout ce qu'elle sait à la police. C'est cet évenement qui conduit à l'arrestation de Buscetta d'octobre 1972. 

Outre Buscetta sont arrêtés son fils Benedetto, sa femme, son beau père, Christian David, Michel Nicoli, Claude Pastou, Guglielmo Casalini (un avocat qui servait de liaison entre les Français et les Italiens) et une dizaine d'autres personnes.

Une partie des individus arrêtés au Brésil 4 octobre 1972

Du côté de Marseille et inculpations dans l'affaire Sarti

Si à cause des confessions de plusieurs repentis cela commence fortement à chauffer en Amérique, les choses commencent également sérieusement à sentir le roussi du côté de Marseille. 

Les informateurs, Eduardo Poeta, Pino Catania & Michel Nicoli vont en effet donner aux autoritées suffisamment de munitions pour leurs servir sur un plateau l'un des principales filières Marseillaise de la "French Connection" (et principal fournisseur de la filière Latino-Américaine), celle Paul Pajanacci. 

Si ce dernier s'est fait tuer en 1971 lors d'un réglement de compte, ses principaux complices sont eux encore là. Parmi eux se trouve Jean-Jérome Colonna, décrit comme l'un des principaux organisateurs du réseau. 

Jean-Jé Colonna est actif dans le Milieu depuis le meurtre de son père Jacques le 18 juillet 1955 tué lors de la vendetta du Combinatie. Colonna est décrit par les informateurs comme l'un des principaux coordinateurs de la filière et aurait arrangé personnellement 8 envois entre Marseille et l'Amérique-du-Sud, à chaque fois des chargement entre 30 et 60 kilos, le tout sur une période allant d'octobre 1968 à octobre 1971

Colonna et ses complices sont inculpés en février 1975 et sont incarcérés à la prison des Baumettes de Marseille. Le 25 juillet, Colonna demande à l'un de ses co-détenus de le poignarder dans le ventre afin d'être transféré dans un hôpital. Profitant d'une crise de spasmes d'un autre détenu hospitalisé, Colonna en profite pour s'échapper et va partir pour une cavale qui va durer 10 ans (inutile de préciser que la crise de spasmes de son voisin de chambre n'était pas dû au hasard).

Après qu'une préscription soit prononcée à l'encontre de tout ses crimes, le casier judiciaire de Jean-Jé est effacé et il revient en France en 1985 après que son oncle Jean (alors maire de Pila-Canale) et Paul Mondolini lui aient préparé le terrain pour qu'il devienne le principal boss du crime organisé de la Corse-du-Sud. 

Durant une bonne partie de sa cavale, Jean-Jé Colonna a principalement séjourné au Brésil (ce qui n'est vraisemblablement pas le fruit du hasard), et a multiplié de nombreux allers-retours vers la France ...

A noter que Henri Malvezzi, le chimiste de la filière Pajanacci, s'est lui fait épingler par le Juge Michel en 1976.

Jean-Jérôme Colonna

Après plusieurs années d'enquêtes et de témoignages de "repentis" des dizaines d'individus sont inculpés à travers le monde:

-A Marseille: Jean-Jérome Colonna, Vincent Colonna d'Istria, Armand Cherchi & Jean Hamalia

-En Amérique: Jean-Paul Angeletti, Sauveur Pironti, Roger Bocognani & François Di Marino

-En Italie: Francesco Toscanino, Felice Bonetti, Tommaso Buscetta, Anthony Settimo & Renzo Rogaï

-Au Mexique: Jorge & Alfredo Asaf y Bala, Alfonso Saudeco, Felipe Deguer & Antonio Hernandez

-En Argentine: Hector Castro, Huvhuventino Florentino (?), Florentino Lugan & Jose Vilarda

-Uruguay: Jose Marachian

-Au Canada: Guido Orsini. 

Concernant le Canada, Pino Catania a également témoigné contre Frank Cotroni & Frank Dasti (tout deux appartenant à la Famille Bonanno) mais malgré leurs implications évidente dans cette affaire, ils seront seulement condamné sur une autre affaire, de cocaïne cette fois, entre le Canada et les USA (ce qui sera l'objet d'un futur article).

La plupart des inculpés de cette affaire vont récolter des condamnations. Ce qui n'empêchera pas de revoir certains de ceux-ci dans le même genre d'affaires et aux mêmes endroits. Si l'on prend par exemple Francesco Toscanino, il a été condamné à 10 ans (il n'en fera que 7) et se fera arrêter au Brésil en 1991 pour encore une fois pour trafic de drogue ! Il était soupçonné d'être avec Umberto Ammaturo le principal fournisseur de cocaïne de la Nuova Famiglia depuis l'Amérique-du-Sud.

Au final la filière de Lucien Sarti est soupçonné d'avoir fait transiter aux USA pas loin de 2 tonnes d'héroïne pure.

Condemine, Rossi, Chiappe & Orsini et la mort de "El Commandante"

Au moment où ses anciens camarades connaissent de mauvaises fortunes, André Condemine a déjà mis depuis un moment les voiles en direction de l'Europe où depuis Bruxelles et Cannes il continue ses opérations. Malheureusement pour lui, cela ne le sauvera d'une fin tragique.

Au cours de l'année 1972 Condemine est dans le viseur de la brigade de stupéfiants après que 117 kilos d'héroïne aient été trouvés à Bruxelles.

Ses affaires ne vont pas s'arranger quand il va par mégarde se mettre en relation avec un agent infiltré de la police de NY nommé William Valentine pour lui vendre 60 kilos d'héroïne.

La transaction se fait à paris le 28 novembre 1972 et en plus des 60 kilos interceptés dans le coffre d'une voiture, 8 personnes sont arrêtés incluant Humberto Mariles Cortes, un général de l'armée Mexicaine qui a participé aux Jeux Olympiquesde 1948 en équitation.

Condemine est maintenant aussi dans le viseur de ses complices, qui selon plusieurs sources sont des anciens complices des frères Zemour de Paris.

Le corp criblé de balle d'André Condemine est retrouvé dans une malle posée le long de la Seine le 7 août 1973. Condemine qui avait disparu depuis plusieurs semaines est identifié grâce à ses empreintes dentaires.

André Condemine

Inculpés en même temps que Ricord, François Chiappe & François "Marcello" Rossi, vont être arrêtés mais le moins que l'on puisse dire est que cela n'aura pas été simple.

Le 29 août 1971 46 kilos d'héroïne cachés dans un avion en provenance de Paris sont saisis à NY. 37 personnes (!) sont arrêtés, dont François Chiappe arrêté le 1er septembre dans sa propriété de Buenos Aires.

En mars 1973 Hector Campora est élu président de l'Argentine et accorde une aministie générale à tout les prisonniers politique. On ne sait trop comment ni pourquoi  mais Chiappe se sent visiblement l'âme d'un prisonnier politique et en profite pour s'échapper. On ne le reverra que 3 ans plus tard.

Toujours en mars 1973, François Rossi est arrêté dans sa maison à Barcelone avec plusieurs millions de dollars sur lui. Inculpé par le BNDD, les USA réclament son extradition pour y être jugé.

C'est chose faite en juillet 1975 et après une demande de caution logiquement refusée, Rossi reste incarcéré en attendant son procès qui doit s'ouvrir en mars 1976. 

Rossi accusé d'avoir organisé l'envoi d'une valeur de 1.5 millards de dollars d'héroïne est reconnu coupable et est condamné à 20 ans de prison le 13 mai 1976.

François "Marcello" Rossi

En ce moi de mai 1976, les planètes sont décidemment bien alignées pour la justice Américaine, car le 27 c'est François Chiappe qui cette fois est arrêté à New York. Et pas tout seul puisqu'il est en compagnie de Yolanda Sarmiento & Miguel Russo. Le trio qui se cachait jusqu'alors en Argentine aurait décidé (ou du moins on les aurait aidé) de se rendre aux autorités Américaines.

Accusés d'avoir fait introduire 544 kilos d'héroïne entre 1965 et 1973, François Chiappe est condamné à 20 ans de prison. A l'issue de sa peine, Chiappe retourne en Argentine où il décède le 2 février 2009 à l'âge de 88 ans.

Yolanda Sarmiento, Miguel Russo & François Chiappe

Le dernier chef de fillière de la South American Connection à chuter est Dominique "Domingo" Orsini et c'est sans aucun doute celui qui va connaître le destin le plus curieux.

Au moment de la débandade en Amérique-du-Sud, il semblerait que bénéficiant d'une prescription des précédentes charges contre lui, Orsini ait décidé de rejoindre la France.

Avant de se rendre en France, il décide en août 1975 de faire une halte à Dakar au Sénégal. Malheureusement pour lui, si les charges qui pesaient contre lui en France ont été abandonné, il y a une inculpation contre lui aux USA et la police Sénégalaise (sans doute bien aiguillée par leurs homologues Français) arrête Orsini et le livre à la DEA.

Orsini est expédié aux USA où il est condamné en décembre 1976 après avoir plaidé coupable à une peine de 10 ans à purger à la prison d'Atlanta. Il est reproché à Orsini d'avoir organisé l'envoi de 150 kilos de drogue aux USA sur une période de deux ans et demi.

Orsini n'aura pas le temps d'effectuer sa peine car il est poignardé à mort le 10 avril 1978. Il est à l'époque le neuvième prisionnier de la prison d'Atlanta a être assassiné entre 1976 et 1978. 

Quelques semaines avant, Vincent Papa qui s'était rendu célèbre pour avoir volé dans un commissariat une saisie de drogue lié à la French Connection avait également été assassiné dans des circonstances similaires.

Domingo Orsini

Quant à Auguste Ricord, il est libéré de prison pour raison de santé en 1983. Il retourne vivre au Paraguay où il meurt en 1985 à l'âge de 74 ans.

Chart partiel de l'organisation d'Auguste Ricord publié par le BNDD en 1972 + diverses photos


L'homme d'affaire Paul Chastagnier

 

Le Commissaire Carrère posant avec un oscilloscope contenant de la drogue


 


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